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Recherchez, frères, examinez avec soin : et dans le peuple juif, et parmi les gentils, le Seigneur n’a trouvé qu’à condamner. Aussi pour pardonner aux pécheurs, il est venu parmi nous avec humilité, non comme juge ; il voulait en pardonnant répandre d’abord sa miséricorde et seulement ensuite déployer sa sévérité en châtiant les coupables. N’abusons point, c’est-à-dire ne mésusons point de sa clémence, et nous n’éprouverons point les rigueurs de sa justice. Ainsi donc voici tout l’homme : connaître Dieu, et recevoir cette grâce sur laquelle s’appuyait David, tandis que superbe, orgueilleux et enflé de lui-même, Goliath comptait sur ses propres forces et commençait par mettre en lui seul la victoire de tout son peuple. Unis comme le front de tout orgueilleux est un front impudent, une pierre frappa le front de cet audacieux et il tomba. Le front de l’impudent fut brisé ; le front qui portait l’humilité de la croix du Christ fut vainqueur.
13. Aussi, pour qui peut le comprendre, c’est pour ce motif que nous portons au front le signe même de la croix. Je le rappelle, mes frères, parce que beaucoup tracent ce signe sans vouloir l’entendre. Dieu pourtant cherche plutôt des hommes qui exécutent ses signes que des hommes qui les peignent. Si tu portes au front le signe de l’humilité du Christ, portes-en l’imitation dans le cœur. Nous avons dit, mes frères, que c’est donner lieu au diable, que de lui ouvrir les portes de la cupidité ou de la crainte : mais de quelle cupidité ou de quelle crainte ? Car nous désirons aussi le ciel comme aussi nous redoutons l’enter ; et comme ces deux portes, la convoitise des biens temporels et la crainte des peines temporelles entraînent au crime la plupart du temps et donnent lieu au diable ; ainsi l’amour des biens éternels et la crainte d’éternels châtiments font place dans le cœur à la parole de Dieu.
14. En deux mots, mes frères, si nous voulons bien vivre, aimons ce que Dieu promet plus que ce que promet le monde ; et redoutons les menaces de Dieu plus que les menaces du monde. Est-ce là un discours long et étendu ? Tu es tenté de tromper, tu veux tromper pour t’enrichir : Dieu promet l’éternel royaume des cieux à qui ne trompe pas ; mais la cupidité l’emporte sur toi. Eh ! qui ne veut pas du royaume des cieux ? Mais le péché consiste à vouloir davantage les biens de la terre ; à vouloir davantage ce qui est présent, sans s’attacher à ce qui doit venir ; à vouloir davantage ce qu’on voit et à ne pas désirer ce que Dieu promet. Car on peut dérober ce que nous voyons, on peut le perdre après l’avoir possédé : quant aux biens promis de Dieu et que pour le moment on ne peut voir des yeux de la chair, une fois parvenu à la récompense, on ne craint pas de les perdre ; personne ne pouvant faire violence à Celui qui – les donne. C’est pourquoi, frères, attachez-vous par la charité aux divines promesses, et vous ne serez pas vaincus par les désirs mondains.
15. Voici une autre tentation, tentation de crainte. Quelqu’un te dit : Fais pour moi un faux témoignage, et d’abord il t’étale des promesses. Mais si tu viens à préférer les divines promesses aux promesses humaines, si tu ne te laisses pas séduire et que la cupidité ne l’emporte pas, il recourt aux menaces et te fait entrevoir des choses horribles. C’est un homme puissant dans la cité, puissant clans le inonde, il parait pouvoir faire ce qu’il dit. Tu te laisses vaincre alors par la peur du mal présent. Dieu ne pourrait-il t’en éloigner s’il le croyait avantageux pour toi ? Et dans le cas où il ne le voudrait point, ne devrais-tu pas comprendre qu’il ne permettrait pas que tu en fusses atteint, s’il ne savait que ce sera aussi pour ton avantage ? Il a préservé du feu les trois enfants. Est-il changé pour n’avoir pas préservé les martyrs du glaive ? Le Dieu des trois enfants était le Dieu des Machabées. Les premiers échappèrent aux flammes [1] ; les seconds en furent tourmentés[2] ; tous cependant remportèrent en ce Dieu éternel une complète victoire : car ils ne mettaient point leurs délices dans cette vie temporelle et les menaces du temps ne les ébranlaient pas.
16. Ne crains donc pas un homme qui te fait des menaces. Qu’est-ce qu’un homme ? « il est devenu semblable au néant ; ses jours passent comme l’ombre. » Ou bien il ne te nuira pas et cette vaine ombre passera avant d’avoir pu te frapper, car Dieu est puissant ; ou bien, s’il lui permet de le nuire, elle ne nuira qu’à ton ombre, qu’à ce qui passe en toi, qu’à ta vie temporelle, qu’à ta vieille vie : jusqu’à la mort en effet nous portons les restes du vieil homme. Cet homme peut nuire à ta vie du temps ; nul ne peut t’enlever la vie de l’éternité. On te débarrassera des

  1. Dan. III
  2. 2 Mac. VII