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proposée un peu auparavant. Comment ? Parce que, conformément à cette parole : « Ce n’est pas vous qui parlez, » et le reste [1] ; et à ces autres : « Voici que moi, Paul, je vous parle[2]; Le Christ parle en moi,[3] » c’est Dieu qui dit ce que dit l’homme par sa grâce.

6. Donc, mes frères, appliquez cette règle à ce qui vous paraissait tortueux, et il sera redressé. Donc aussi attachons tous sur Dieu nos regards suppliants ; qu’il apaise la faim de nos âmes : c’est lui qui pour nous a enduré la faim et pour nous s’est fait pauvre, quand il était riche, afin de nous enrichir par sa pauvreté[4]. Avec quel à-propos nous venons de lui chanter « Tous les êtres attendent de vous leur nourriture au temps convenable[5]. » Si c’est tous les êtres, c’est tous les hommes ; et si c’est tous les hommes, c’est nous par conséquent. Donc encore, si en vous adressant la parole nous devons vous donner quelque chose de bon, cela vous viendra de Celui qui nous donne à tous, parce que tous nous attendons de Lui. Le temps convenable est venu, qu’il donne ; mais pour l’obtenir faisons ce qu’il a dit ; attachons sur lui le regard du cœur : le corps a des yeux et des oreilles qui sont pour nous ; le cœur, des yeux et des oreilles qui sont pour lui. Ouvrez donc cette oreille du cœur et entendez ce grand mystère. Tous les mystères des Écritures sont grands et divins : il en est toutefois de plus remarquables, de plus importants ; il en est qui demandent la plus vive attention de notre part ; plus que les autres ils relèvent ceux qui sont tombés et nourrissent ceux qui ont faim : ils les nourrissent, non en leur inspirant le dégoût, mais en les en préservant, en chassant le besoin sans provoquer la répugnance. – Qui ne s’étonnerait de cet ordre d’immoler un fils unique, intimé par Celui qui l’avait promis ? Cet ordre donné exactement, comme nous l’avons appris, provoque l’attention a chercher le secret du mystère.

7. Avant tout néanmoins, nous vous prions, mes frères, au nom du Seigneur, et avec les plus vives instances, nous vous ordonnons même, quand on vous dévoile le mystère d’un fait rapporté dans l’Écriture, de croire d’abord qu’il s’est accompli à la lettre : enlevez ce fondement de l’histoire, vous chercherez à bâtir dans les airs. Abraham notre père était alors un homme fidèle, confiant en Dieu, et justifié par la foi, comme disent les Écritures anciennes et nouvelles [6]. Il eut un fils de Sara son épouse, lorsque tous deux étaient parvenus à la vieillesse et devaient humainement désespérer d’en avoir. Mais que ne doit-on espérer de Dieu ? Rien ne lui est difficile : il fait les grandes comme les petites choses ; il ressuscite les morts comme il crée les vivants. Si l’art du peintre lui permet de faire des œuvres si diverses, de produire l’insecte comme l’éléphant ; de quoi n’est point capable ce grand Dieu qui a dit, et tout a été fait, qui a commandé, et tout a été créé[7] ? Qu’y a-t-il de laborieux pour Celui à qui suffit une parole ? Autant il lui fut aisé de créer les anges par de là les cieux, autant il lui en coûte peu de produire les astres dans les cieux, les poissons dans la mer, les arbres et les animaux sur la terre : il fait avec la même facilité les grandes et les petites choses. Et quand il a pu si facilement tirer du néant, on s’étonnerait qu’il eût donné un fils à des vieillards? Ces hommes ou plutôt ces personnages étaient alors entre les mains de Dieu et il les avait créés comme les hérauts du futur avènement de son Fils : il veut que nous cherchions, que nous trouvions le Christ non-seulement dans ce qu’ils disaient, mais encore dans ce qu’ils faisaient et dans ce qui leur arrivait. Ce que l’Écriture rapporte d’Abraham est donc en même temps un fait et une prophétie. Ainsi l’atteste l’apôtre « Il est écrit, dit-il, qu’Abraham eut deux fils : l’un de la servante et l’autre de la femme libre. Ce qui a été dit par allégorie : car ce sont les deux alliances[8]. »

8. Ainsi donc il n’y a point d’imprudence à dire qu’Isaac est né et qu’il est une figure. Il y a aussi réalité et prophétie quand le père se montre docile à la voix de Dieu lui commandant d’immoler son fils ; quand il le conduit et parvient au bout de trois jours au lieu du sacrifice ; quand il renvoie ses deux serviteurs avec la bête de somme et poursuit sa route jusqu’au lieu indiqué par le Seigneur ; quand il place le bois sur l’autel et son fils sur le bois ; quand avant d’arriver au lieu de l’immolation, le fils porte le bois sur lequel on doit l’étendre ; et qu’au moment où il va être frappé une voix crie qu’on l’épargne, sans manquer néanmoins d’offrir un sacrifice avant le retour et de répandre le sang ;

  1. Mat. 10, 20
  2. Gal. 5, 2
  3. 2Co. 3, 3
  4. 2Co. 8, 9
  5. Psa. 103, 27
  6. Gen. 15, 6 ; Rom. 4, 3 ; Gal. 3, 6
  7. Psa. 148, 5
  8. Gal. 4, 22-24