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ces paroles s’appliquent surtout aux bienheureux martyrs. Quels autres ont sacrifié autant qu’eux, puisqu’ils se sont sacrifiés eux-mêmes selon cette expression de l’Apôtre Paul : « Pour moi je me sacrifierai moi-même pour vos âmes [1] ? » Ils se sont sacrifiés en confessant le Christ, et en accomplissant avec son secours cet oracle : « Es-tu assis à une grande table ? Sache « que tu dois rendre autant[2] ? » Quelle est la grande table, sinon celle où nous recevons le corps et le sang du Christ ? Et que signifie : « Sache que tu dois rendre autant », sinon ce que dit ici le bienheureux Jean : « Comme le Christ a donné sa « vie pour nous, ainsi nous devons donner notre « vie pour nos frères [3]? »
Voilà ce qu’ont sacrifié les martyrs. Mais ont-ils péri après avoir été rassurés par le Seigneur sur le sort même d’un seul de leurs cheveux[4] ? La main périt-elle quand il n’en périt pas le moindre poil ? La tête périt-elle, quand il n’en périt pas un seul cheveu ? Et l’œil périt-il quand la paupière ne périt pas ? Les martyrs se sont donc sacrifiés après avoir reçu, cette magnifique assurance. Et nous, tant qu’il en est temps encore, semons les bonnes œuvres. L’Apôtre ne dit-il pas « Qui sème peu, moissonnera peu[5] ? » et encore : « Sans nous lasser et tant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, principalement aux membres de la foi ?[6] » Il dit aussi « Ne nous lassons point de faire le bien ; car nous moissonnerons, une fois le temps venu[7]. » Qui cessera de semer, n’aura point la joie de moissonner.
3. Pourquoi des larmes, puisque toutes nos bonnes œuvres doivent être faites avec joie ? Les martyrs sans doute ont semé dans les larmes ; car ils ont vigoureusement combattu et soutenu de rudes épreuves ; et pour adoucir leurs douleurs, le Christ les a personnifiés en lui-même quand il a dit : « Mon âme est triste jusqu’à la mort. » Cependant, mes frères, il me semble que notre Chef compatissait alors aux plus faibles de ses membres ; il craignait qu’ils ne tombassent dans le désespoir, qu’entraînés par l’humaine faiblesse ils ne se troublassent aux approches de la mort, et qu’ils ne se crussent délaissés de Dieu, attendu qu’ils seraient dans la joie s’ils lui étaient agréables. Pour ce motif le Christ a dit auparavant : « Mon âme est triste jusqu’à la mort, S’il est possible, mon Père, que ce calice s’éloigne de moi[8]. » Qui tient ce langage ? Quelle puissance ? Quelle faiblesse ? Écoutez ce qu’il dit : « J’ai le pouvoir de donner mon âme, et j’ai le pouvoir de la reprendre. Personne ne me la ravit, mais je la donne et la reprends[9]. » Cette puissance était triste en faisant ce qu’elle n’aurait point fait si elle avait voulu. Car il agissait alors parce qu’il le pouvait, non parce qu’il y était obligé ; parce qu’il le voulait, non parce que les Juifs étaient plus forts que lui ; et ce sont bien les membres infirmes de son corps qu’il a personnifiés en lui. N’est-ce pas d’eux aussi, c’est-à-dire des plus faibles, qu’il est dit : « Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie ? » Car il lie semait pas dans les larmes ce grand héraut du Christ quand il disait : « Déjà on m’immole et le moment de ma dissolution approche. J’ai combattu le bon combat, j’ai consommé ma course, j’ai gardé la foi : reste la couronne de justice », la couronne d’épis ; « elle m’est réservée, dit-il, et le Seigneur, le « juste juge, me le rendra en ce jour :[10] » comme s’il disait : Il m’accordera de moissonner, puisque je me sacrifie à semer pour lui. Autant, mes frères, que nous pouvons le comprendre, ce langage est l’expression de la joie, non de la douleur. Paul était-il dans les larmes en parlant ainsi ? Ne ressemblait-il pas plutôt à celui qui donne avec joie et que Dieu chérit ? Ainsi donc appliquons aux faibles l’oracle du psaume ; de peur que ces faibles ne désespèrent après avoir semé dans les larmes : s’ils ont semé dans les larmes, est-ce que la douleur et les gémissements ne passeront point ? Est-ce que la tristesse ne finira point avec la vie, pour être remplacée par une joie qui ne finira jamais ?
4. Voici cependant, mes très-chers, comment il me semble qu’à tous s’appliquent ces paroles : « Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie. Ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences ; ils reviendront avec allégresse, portant leurs gerbes dans leurs mains. » Écoutez donc ; peut-être me sera-t-il possible, avec l’aide du Seigneur, de vous expliquer comment on peut dire de tous qu’ils « allaient et pleuraient. » Dès notre naissance nous marchons. En effet, qui s’arrête ? Qui n’est forcé de marcher en entrant dans la vie ? Un enfant vient de naître, en

  1. 2 Cor. 12, 15
  2. Sir. 31, 12
  3. 1 Jn. 3, 16
  4. Lc. 21, 18
  5. 2 Cor. 10, 6
  6. Gal. 6, 10
  7. Id. 9
  8. Mt. 26, 38, 39
  9. Jn. 10, 18
  10. 2 Tim. 4, 6-8