Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/126

Cette page n’a pas encore été corrigée

enfants des hommes [1]. » Car « au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu[2]. Celui qui m’aime, dit le Sauveur, observe mes commandements ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et je l’aimerai aussi. » Et que lui donnerez-vous ? « Je me découvrirai à lui »[3]. « On aura la claire vue quand il accomplira cette promesse : « Je me découvrirai à lui. » Là tu verras la justice de Dieu, là tu liras dans le Verbe sans le secours d’aucun livre. Ainsi lorsque nous le verrons tel qu’il est, notre voyage sera terminé et nous partagerons la joie des Anges. Qu’est-ce en effet que le chemin ? C’est la foi. Pour exercer la foi le Christ a été défiguré, mais sa beauté lui reste et nous verrons après le voyage qu’il « l’emporte en beauté sur les enfants des hommes. » Comment aujourd’hui se montre-t-il à la foi ? « Et nous l’avons vu, et il n’avait ni éclat ni beauté ; son visage paraissait abject et son attitude, » c’est-à-dire, sa vertu, « méprisable ; il était couvert de honte et d’ignominie, accablé de plaies et exercé à supporter les douleurs[4]. » Cette espèce de laideur dans le Christ te rend beau. S’il n’avait voulu passer par là, tu n’aurais point recouvré ta beauté perdue. Il était donc tout défiguré sur la croix ; mais cette laideur nous embellissait ; et durant cette vie attachons-nous au Christ dans l’abjection. Comment au Christ dans l’abjection ? « À Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n’est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde m’est crucifié et moi au monde[5]. » Voilà l’abjection du Christ. Ai-je prétendu vous enseigner autre chose que la voie du ciel ? La voie du ciel est de croire au crucifié. Nous portons sur le front le signe de son abjection : ne rougissons pas de cette abjection du Christ. Suivons cette voie, et nous parviendrons à le voir dans sa beauté. Lorsque nous serons parvenus à voir cette beauté du Christ, nous verrons aussi la justice de Dieu et nous ne serons plus portés à demander : Pourquoi secourt-il celui-ci et non celui-là ? Pourquoi la divine providence a-t-elle amené l’un au baptême ; tandis qu’un autre, après avoir vécu sagement dans le catéchuménat, est mort tout-à-coup sans avoir reçu ce sacrement ; et qu’un autre encore, après avoir vécu dans le crime, dans la débauche, dans l’adultère, dans les théâtres, à là chasse, est tombé malade, a été baptisé et n’a paru pécheur que pour voir ses péchés effacés ? Recherche ses mérites ; tu découvriras qu’il n’avait mérité que des supplices. Considère la grâce qu’il reçoit : « O profondeur des trésors ! » Pierre renie, le larron croit : « O profondeur des trésors ! »
7. Tu nous crois capable de sonder cet abîme devant lequel l’Apôtre s’est arrêté frappé de stupeur, et s’écriant, lorsqu’il regardait avec effroi tant de hauteur et tant de profondeur : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ? » Et qu’avait-il dit, avant ce cri d’admiration ? Il avait dit une chose qui sera estimée injuste par qui ne croira point qu’il n’y a en Dieu aucune injustice. Il avait ainsi parlé des Juifs aux gentils convertis : « Comme vous-mêmes ne croyiez pas en Dieu et que maintenant vous avez obtenu miséricorde à cause de leur incrédulité ; ainsi eux maintenant n’ont pas cru, pour que miséricorde vous fut faite. Car Dieu a enfermé tout dans l’incrédulité pour faire miséricorde à tous[6]. » C’est après cela que Paul pousse son cri d’admiration. Mais où est la justice, l’équité de Dieu, quand il enferme tout dans l’incrédulité pour faire miséricorde à tous ? Tu cherches à t’en rendre compte et moi je tremble devant cet abîme : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! » Raisonne, j’admirerai ; discute, je croirai ; je vois un précipice, je ne veux pas m’y jeter. « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont « incompréhensibles et ses voies impénétrables ! » Peut-être nous les fera-t-il connaître. « Mais qui a connu la pensée du Seigneur ? Ou qui a été son conseiller ? Ou qui lui a donné le premier, et sera rétribué, puisque c’est de lui et par lui et en lui que sont toutes choses ? A lui la gloire dans les siècles des siècles[7]. » L’Apôtre s’arrête, car il lui faut admirer. Que personne ne me demande la raison de ces mystères. L’Apôtre dit : « Que ses jugements sont incompréhensibles ! » et tu es venu pour chercher à les comprendre ? « Que ses voies sont impénétrables ! » et tu veux les pénétrer ? Si tu viens pour pénétrer l’impénétrable, crois-moi, tu es déjà perdu. Vouloir comprendre l’incompréhensible, et pénétrer l’impénétrable, c’est chercher à voir l’invisible, à exprimer l’inexprimable. Ah ! plutôt que l’on bâtisse la maison ; et lorsque sera arrivé le moment d’en faire la dédicace, alors peut-être on verra avec éclat la raison de ces obscurs mystères.

  1. Ps. 44, 3
  2. Jn. 1, 19
  3. Jn. 14, 21
  4. Is. 53, 2-3
  5. Gal. 6, 14
  6. Rom. 11, 30-32
  7. Rom. 11, 33-36