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que disent-ils de mal ? – O docteur, expose-nous donc ce que tu entends par la grâce. – Quand je dis le libre arbitre, répond-il, remarque que j’ajoute : de l’homme. – Que s’ensuit-il ? – Qui a créé l’homme ? – C’est Dieu – Qui lui a donné le libre arbitre ? – Dieu – Si donc Dieu a créé l’homme, s’il lui a donné le libre-arbitre, à qui l’homme est-il redevable de ce qu’il peut par son libre arbitre ? N’est-ce pas à la grâce de Celui qui l’a créé avec le libre arbitre ? — Voilà le moyen perfidement employé pour se défendre.
9. Considérez néanmoins, mes frères, comment ces novateurs préconisent la grâce générale qui a créé l’homme, qui nous a faits hommes. Ce que nous avons de commun avec les impies c’est d’être hommes ; mais nous n’avons pas de commun avec eux d’être chrétiens. Or cette dernière grâce qui nous rend chrétiens, nous demandons aux hérétiques de la prêcher, nous leur demandons de la reconnaître ; c’est la grâce dont l’Apôtre a dit : « Je ne dédaigne point la grâce de Dieu ; car si c’est par la loi que règne la justice, c’est donc en vain que le Christ est mort [1]. » Voyez de quoi parle cet Apôtre. C’est de la loi qu’il a dit : « Si c’est par la loi qu’est la justice, c’est en vain que le Christ est mort. » Mais comme la loi n’établissait pas la justice, le Christ est mort ; il est mort pour justifier parla foi ceux qui n’étaient point justifiés par la loi. « Car, dit-il encore, si la loi donnée eût été capable de vivifier, la justice viendrait, vraiment de la loi », comme nous le rappelions encore hier[2] ; « mais l’Écriture a tout renfermé sous le péché, « afin que la promesse : » la promesse et non la prophétie ; car la promesse est accomplie par son auteur ; afin « que la promesse fut accomplie en faveur des croyants par la foi en Jésus-Christ. » Voilà en quel état nous a trouvés la grâce du Sauveur : la Loi n’avait pu nous guérir. Et pourquoi nous eût-on donné la loi si la nature eût suffi ? La loi elle-même n’a pu suffire encore, tant la nature était faible. Cette loi nous a été communiquée, mais non comme étant capable de nous donner la vie. À quel titre donc ? « La loi, dit l’Apôtre, a été établie à cause des transgressions :[3] » à cause des transgressions, pour te rendre prévaricateur – Dans quel dessein me rendre prévaricateur ? – Dieu connaissait ton orgueil, il voyait que tu disais : Oh ! Si seulement on m’instruisait ! Oh ! Si seulement quelqu’un me montrait la voie ! Voici la Loi, elle te dit : « Tu ne convoiteras pas. » Tu l’as connue, cette loi, tu as connu cette défense : « Tu ne convoiteras point. » Bientôt la concupiscence que tu ne connaissais point s’est fait remarquer tu l’avais auparavant, mais tu l’ignorais ; tu as voulu vaincre ce mal caché et il a paru au grand jour. Superbe, c’est par la loi que tu es devenu prévaricateur ; reconnais la grâce et deviens-en le panégyriste.
10. Mais qui a donné la loi, demandes-tu ? Il est en effet des hommes vains, les pires de tous les impies, qui veulent que la loi ait été donnée par un autre, et la grâce par Notre-Seigneur Jésus-Christ ; comme si la loi eût été mauvaise, perverse, et que la grâce fut bonne. Ils veulent établir entre les deux Testaments la différence suivante : l’ancien aurait pour auteur je ne sais quel prince de ténèbres, et notre Dieu et Seigneur, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, serait l’auteur du nouveau. – Mais si le motif pour lequel tu attribues la loi à un autre que Dieu est que cette loi a fait de toi un prévaricateur, entends l’Apôtre lui-même louer la loi : « Ainsi, dit-il, la loi est sainte, et le commandement saint ; » dis encore : « saint ; » dis encore « bon ». Ce qui est bon, continue-t-il, est donc, devenu pour moi la mort ? Loin de là. C’est le péché pour paraître péché [4]. » Le péché existait effectivement, mais caché. Quand était-il caché ? Quand tu ne lui résistais pas encore. Tu t’es mis à lutter contre lui, il a montré alors qu’il était ton maître. Quand tu suivais docilement, tu ne sentais pas la chaîne ; tu as cherché à t’échapper, et tu as senti tes fers ; tu as voulu fuir, et tu as commencé à être entraîné. Ah ! Reçois dans ce pressant danger l’assistance de Celui qui ne fut jamais prisonnier. Quel est-il, sinon Celui qui à dit : « Si vous avez découvert en moi quelque péché, déclarez-le ?[5] » Quel est celui, qui n’a pas été enchaîné, sinon Celui qui a dit : « Voici venir le prince du monde, et il ne trouvera rien en moi ? » Il ne trouvera pas en moi de motif pour me mettre à mort ; car le péché seul mérite la mort. – O Seigneur ! Pourquoi donc mourez-vous ? « Afin d’apprendre à tous que je fais la volonté de mon Père[6]. » Exempt du péché, c’est lui qui nous en affranchit ; libre au milieu des morts, c’est lui qui nous délivre de la mort.
11. Pourtant, il a aussi donné la Loi ? Il a envoyé

  1. Gal. 2, 21
  2. Sermon CLVI.
  3. Gal. 3, 21, 22. 19
  4. Rom. 7, 7, 12-13
  5. Jn. 7, 46
  6. Jn. 14, 30-31