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mais en vertu de la promesse[1]. Isaac en effet, était issu de la chair, mais au moment où tout était désespéré, et sans la promesse divine, jamais le noble vieillard n’eût osé attendre que la postérité dût lui venir d’une épouse chargée d’années. Mais sur la parole de Dieu il crut la future naissance et ne déplora point la mort future : On choisit son bras pour le sacrifice qui doit conduire à la mort, comme on avait choisi son cœur pour la foi qui devait obtenir la vie. Il crut sans hésiter quand on lui promettait un fils, il l’offrit sans hésiter quand on le lui redemanda ; et la piété de sa foi ne lutta point contre le dévouement de son obéissance. Abraham ne se dit donc pas : Dieu m’a parlé ; quand il m’a promis un fils, j’ai cru qu’il me ferait une postérité et quelle postérité ! une postérité dont il a dit : « C’est d’Isaac que ta postérité prendra ton nom[2]. » Et pour m’empêcher de craindre que cette postérité dût s’éteindre en Isaac avant ma mort : « Toutes les nations, m’a-t-il dit encore, seront bénies en ta race[3]. » C’est donc lui qui m’a promis expressément un fils, et il exige que je le fasse périr ? Il n’examina point s’il y avait opposition entre les paroles de Dieu, si après avoir promis la naissance d’un fils, Dieu ne se contredisait point en demandant sa mort ; sa foi ne défaillit point, elle demeura ferme dans son cœur. Si de vieillards même, se dit-il, Dieu a fait naître le fils qui n’était pas, ne peut-il au delà du tombeau le rendre à la vie [4] ? En effet, Dieu avait fait davantage et à consulter l’humaine faiblesse, il avait même fait l’impossible, lorsqu’il avait donné à Abraham ce fils qu’il voyait et que tout le portait à désespérer d’obtenir. Il embrassa donc la foi avec courage ; il ne crut pas que rien fût impossible au Créateur ; et après avoir reçu ce fils conformément à sa foi, il ajouta foi aussi à l’ordre de Dieu. Déjà il avait cru quand Dieu lui donnait ce fils ; et la foi du patriarche, quand il fallut en faire le sacrifice, ne dégénéra point de ce qu’elle s’était montrée quand il dut le recevoir ; partout il fut fidèle. Jamais il ne se montra cruel. Oui, il conduisit son fils au lieu de l’immolation, il arma son bras de l’épée tranchante. Tu vois avec étonnement ce père prêt à frapper et à frapper qui ? Vois aussi de qui il suit les ordres. Abraham se montre pieux en obéissant : qu’oseras-tu dire de Dieu qui commande ? De grâce, dirai-je ici aux cœurs faibles et non aux impies, ne murmurez point contre lui. Vous aimez celui qui obéit, comment vous déplairait celui dont il exécute les ordres ? Si Abraham a bien fait de s’y soumettre, Dieu n’a-t-il pas fait mieux, beaucoup et incomparablement mieux en les donnant ?

2. Peut-être faut-il chercher ici des raisons plus profondes. Car Dieu n’a pas donné sans motif et il ne faut point entendre dans un sens charnel cet ordre dont la connaissance trouble peut-être parmi vous, des âmes peu clairvoyantes. « Dieu, dit l’Écriture, tenta Abraham[5]. » Quoi ! est-il si étranger à ce qui existe, connaît-il si peu le cœur de l’homme qu’il le tente pour en découvrir les secrets ? Loin de nous cette pensée. C’est l’homme qu’il veut révéler à lui-même. Ainsi donc, mes frères, je m’adresse d’abord à ces esprits qui combattent la loi ancienne, l’Écriture sainte. Il en est effectivement qui sont plutôt prêts à critiquer ce qu’ils ne comprennent pas qu’à chercher à le comprendre, et à calomnier avec orgueil qu’à étudier avec humilité. Je m’adresse donc à ces hommes qui veulent recevoir l’Évangile et repousser l’ancienne loi, qui croient pouvoir suivre la loi de Dieu et n’y marcher que sur un pied, car ils ne sont point ces Docteurs instruits de ce qui touche le royaume de Dieu et qui tirent de leur trésor des choses anciennes et des choses nouvelles[6]. C’est à eux que je m’adresse, car il peut se faire qu’il y en ait ici qui se déguisent ; d’ailleurs s’il n’en est point parmi nous, vous tous qui êtes présents vous pourrez ainsi leur répondre. Je résous donc en peu de mots la question proposée.

Voici ce que nous disons à ces âmes égarées : Vous recevez l’Évangile sans recevoir la loi. Pour nous, nous déclarons que le Législateur miséricordieux de l’Évangile est l’auteur redoutable de la loi. Sa loi ; en effet, effraye les hommes pour les porter à se convertir, et quand ils le sont l’Évangile les guérit. Le Souverain avait rendu un décret ; et ce décret, étrangement violé, ne servait plus qu’à la punition des coupables. Que restait-il à faire pour ces malheureux ? Le Législateur devait venir lui-même apporter leur grâce.

Mais que dit le cœur pervers pour expliquer comment il reçoit l’Évangile et rejette la loi ? Pourquoi rejette-t-il la loi ? Parce qu’il y est écrit, dit-il, que « Dieu tenta Abraham. » Quoi ! J’adorerais

  1. Gal. 4, 23
  2. Gen. 21, 12
  3. Gen. 22, 18
  4. Rétr. liv. 2, ch. 22, n. 2.
  5. Gen. 21, 1
  6. Mat. 13, 52