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loyalement et par contrat ; tu verses une partie du prix : ce sont des arrhes, ce n’est pas un gage car tu compléteras la somme donnée, tu ne la réclameras point. Fais maintenant l’application. Je trouve la charité dans une âme ; ce sont des arrhes et ces arrhes la portent à désirer le bonheur tout entier. Qu’elle considère la nature de ces arrhes, car elles ne feront que se compléter. Qu’elle les considère donc, qu’elle les examine en elle-même, qu’elle les étudie et les questionne sur ce complément qu’elle ne voit pas, car il serait à craindre qu’elle ne cherchât dans ce complément autre chose que ce qui est dans les arrhes reçues. Dieu donnera-t-il de l’or, achèvera-t-il le paiement en or ? Nous a-t-il donné de l’or pour arrhes ? Il est à craindre que tu ne désires du plomb pour de l’or. Considère tes arrhes : que je voudrais te persuader de les contempler ! Dieu est charité.
10. Déjà nous avons reçu quelque chose de cette source, quelques gouttes d’eau, quelques gouttes de rosée. Ah ! si telle est la rosée, que n’est point la fontaine qui la produit ? Rafraîchi pas cette rosée, mais rempli d’ardeur pour courir à la source, dis à ton Dieu : « En vous est la fontaine de vie. » La rosée a provoqué en toi ce désir, tu te rassasieras à la source même. Là se trouve tout ce qui nous suffit. « Les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes. » Eh ! pourquoi désirer comme de grands bienfaits de Dieu, ce qu’il donne aux animaux comme à nous ? Ces bienfaits sont de lui, qui en doute ? La plus légère faveur ne descend-elle pas de celui dont il est dit : « Le salut vient du Seigneur [1] ? »
11. Le même psaume ajoute : « Vous sauverez, Seigneur, les hommes et les bêtes, à Dieu selon l’immense étendue de votre miséricorde[2]. » Votre miséricorde est si abondante qu’elle se prodigue non seulement aux hommes, mais encore aux animaux. Telle est l’incomparable richesse de cette miséricorde, que vous faites lever votre soleil sur les bons et sur les méchants, pleuvoir aussi sur les justes et les pécheurs[3]. Vos saints ne recevront-ils rien de particulier ? l’homme pieux ne recevra-il rien que ne le reçoive l’impie ? Il reçoit sûrement autre chose. Écoute ce qui suit. Après avoir dit : « Vous sauverez, Seigneur, les hommes et les bêtes, ô Dieu, dans l’immense étendue de votre miséricorde », le prophète ajoute : « Mais les enfants des hommes. Que viens-tu donc de dire ? Les hommes ne seraient-ils point les enfants des hommes ? Il répond : « Vous sauverez, Seigneur, les hommes et les animaux ; mais les enfants des hommes ; » quoi ? « espéreront à l’ombre de vos ailes. » Voilà ce qu’ils ne partageront pas avec les bêtes. Pourquoi dire ici les enfants des hommes et dire là les hommes? Les hommes ne sont-ils pas les enfants des hommes ? Sans aucun doute les hommes sont les enfants des hommes. Pourquoi alors cette distinction, sinon parce qu’il est un homme qui n’a pas été fils de l’homme ? L’homme qui n’est point fils de l’homme c’est Adam ; l’homme fils de l’homme, c’est le Christ. « De même que tous meurent en Adam ainsi tous recevront la vie en Jésus-Christ [4]. » Ils cherchent le salut avec les bêtes, ceux qui meurent et qui meurent pour ne pas vivre ; ils ne le cherchent pas avec les enfants des hommes, pour obtenir de ne mourir jamais. La distinction est comprise. Ces hommes ne sont que des hommes, les enfants des hommes sont associés au Fils de l’homme.
12. Qu’y a-t-il ensuite ? « Les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes. » J’espère donc ; mais l’espérance qui se voit n’est pas[5] de l’espérance ; ainsi c’est à l’avenir qu’on sera enivré des biens promis. « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison. » Je craignais tout à l’heure qu’on, ne cherchât en bien des membres corporels ; je crains maintenant que l’on ne voie dans cette ivresse, non le rassasiement des biens ineffables, mais la débauche des festins charnels. Expliquons toutefois ; on comprendra comme on pourra, et si l’on ne peut s’élever plus haut, qu’oie ne quitte pas l’idée du sein maternel, qu’importe, pourvu que l’on croisse ! Poursuivons, et si nous en sommes capables, goûtons le plus qu’il nous sera possible, les délices spirituelles. « Ils s’enivreront, est-il dit, de l’abondance de votre maison, et vous les abreuverez au torrent de vos voluptés. » De quel vin ? de quelle liqueur ? de quelle eau ? de quel miel ? de quel nectar ? Tu veux savoir de quoi ? « Car en vous est la source de la vie.[6] » Bois la vie, si tu peux. Prépare ta conscience, non ta bouche ; ton esprit et non pas ton appétit. Si tu as entendu, si tu as compris, si tu as aimé de tout ton cœur, déjà tu as bu à cette fontaine.
13. Qu’as-tu bu ? Tu as bu la charité. La connais-tu ? Mais c’est Dieu[7]. Tu as bu la charité ; mais où l’as-tu bue ? Si tu la connais, si tu l’as vue,

  1. Ps. 3, 9
  2. Ps. 35, 10, 7-8
  3. Mt. 5, 45
  4. 1 Cor. 15, 22
  5. Rom. 8, 24
  6. Ps. 35, 7-10
  7. 1 Jn. 4, 8