Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/100

Cette page n’a pas encore été corrigée

cette fidélité que ton Seigneur te demande tu préfères l’or ! Tu ne rends point celui que l’on t’a prêté et tu dis : Tu ne m’as rien donné ! Ou bien, quand tu n’as rien confié, tu dis : Rends-moi ce que je t’ai prêté ! Tu ne restitues point ce que tu as reçu et tu réclames ce que tu n’as point donné ! Eh bien ! acquiers de l’or, ravis-le de cette manière, entasse ta boue. Pourquoi presser en disant : Donne, quand tu n’as pas confié, et en niant ce que tu as reçu en dépôt ? Enlève tout, multiplie les gains ruineux ; voilà que ta caisse est pleine, tu nages dans l’or. Ouvre ton cœur, le trésor de la fidélité n’y est plus.
8. Reviens donc si tu as senti quelque chose, si tu as rougi, si tu as corrigé ce qui était difforme et dépravé : reviens, réjouis-toi dans le Seigneur, cherche en lui tes délices. Pour te réjouir en lui, réjouis-toi dans ce qu’il commande. Réjouis-toi dans la foi, réjouis-toi dans l’espérance, réjouis-toi dans la charité, réjouis-toi dans la compassion, réjouis-toi dans l’hospitalité, réjouis-toi dans la chasteté. Toutes ces vertus sont des biens, les trésors de l’homme intérieur, les perles renfermées non dans ta caisse, mais dans la conscience. Aime à posséder ces richesses, tu ne peux les perdre dans le naufrage, et en y échappant, tout dépouillé, tu n’en seras pas moins opulent. Car tu échappes avec ce cœur droit qui mérite des éloges ; tu ne reproches pas à ton Seigneur qu’il te soit arrivé des accidents en ce siècle, tu bénis même la verge du Père dont tu attends l’héritage. Réfugie-toi sous cette main qui corrige, ne fuis pas le châtiment, car Celui qui te l’inflige ne saurait se tromper. Celui qui t’a fait sait ce qu’il lui reste à faire avec toi. Le croirais-tu assez incapable pour avoir su te l’aire sans se souvenir ensuite de ce qu’il doit te faire encore ? Tu n’étais pas encore, il pensait à toi ; car tu ne serais jamais s’il n’y avait pensé. Donc pour te donner l’existence il a songé à toi quand tu ne l’avais pas. Et maintenant que tu existes, que tu subsistes, que tu vis, que tu le sers, il te méprisera, il te délaissera ? Il m’a délaissé, dis-tu. Je l’ai prié, il ne m’a point exaucé. Et si tu lui demandais ce que tu ne pouvais recevoir que pour ton malheur ? J’ai pleuré devant lui, il ne m’a pas donné. Enfant sans jugement, pourquoi as tu pleuré ? Pour obtenir les jouissances du temps. Et si ces jouissances que tu demandais avec tant d’ardeur et avec larmes, devaient te perdre ? Je parlais de ton serviteur ; tire maintenant une comparaison de ton fils. Il est petit et il pleure pour obtenir que tu le mettes sur ton cheval. L’écoutes-tu ? En vérité l’écoutes-tu ? Est-ce dureté ou bonté de ta part ? Dis-le-moi. Dans quel dessein agis-tu ? Ton dessein est sûrement un dessein d’amour, qui en doute ? A ce fils, quand il aura grandi, tu réserves toute ta fortune, et maintenant qu’il est petit et qu’il pleure tu ne le mets pas à cheval ? C’est pour lui tout ce que tu possèdes, maison et tout ce qu’elle contient, champs et tout ce qu’ils renferment et tu ne le mets pas à cheval, pauvre petit qui pleure ? Mais qu’il pleure tant qu’il voudra, qu’il pleure le jour entier ; tu ne l’écoutes pas et c’est par bonté, tu serais cruel si tu l’écoutais. Vois donc, examine : n’est-ce pas ainsi que ton Dieu agit envers toi lorsque tu lui demandes, sans l’obtenir, ce qui ne convient point ? N’est-ce point parce que le besoin servira à ton amendement et que l’abondance servirait à te corrompre ? L’abondance que tu cherches est une abondance de corruption, et il te faut le besoin pour ton instruction. Laisse tout entre les mains de Dieu ; il sait ce qu’il te doit donner, ce qu’il te doit ôter. S’il exauçait tes demandes, inconsidérées, ce serait peut-être dans sa colère. Ne vois-tu pas de ces traits dans la Loi ? Quand les Israélites voulurent assouvir leurs convoitises charnelles, dans sa colère il les exauça [1]. Paul lui disait : Délivrez-moi de l’aiguillon de la chair, il ne l’exauça point dans sa bonté[2].
9. Ainsi donc réjouis-toi dans le Seigneur, dans le Seigneur et non dans le siècle. Cet ancien se réjouissait dans le Seigneur ; après qu’il eût perdu toutes les joies du siècle, le Seigneur lui resta avec ses joies divines ; et il conserva, au milieu des épreuves, la joie pure, parfaite et immuable de son cœur. Il possédait les biens sans en être possédé, car il était au Seigneur. Il foulait ses biens et s’attachait à Dieu ; et quand lui furent ôtés ces biens sur lesquels il marchait, il resta fixé où il se tenait. Voici en effet ce qui s’appelle se réjouir en Dieu. « Le Seigneur a donné. » Le Seigneur, c’est lui qui fait sa joie. « Le Seigneur a ôté ; » Mais s’est-il ôté ? Il a ôté ce qu’Il a donné ; mais le Donateur même s’est offert, et on se réjouit dans le Seigneur. Donc « le Seigneur a donné, le Seigneur a retiré, comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni ![3] » Comment déplairait au serviteur ce qui plaît au Seigneur ? J’ai perdu mon or, j’ai perdu ma famille, j’ai perdu mes troupeaux, j’ai perdu tout ce que j’avais :

  1. Ex. 16
  2. 2 Cor. 12, 7-9
  3. Job. 1, 21