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« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton « cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit[1] ; » et aussi ces paroles du Seigneur Jésus : « Or la vie éternelle, c’est de vous connaitre, vous seul vrai Dieu, et Celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ[2]. »

XXXVI. — Des moyens de nourrir la charité. — 1. J’appelle charité, l’amour de ce qui n’est point à mépriser, comparé à celui qui aime ; c’est-à-dire de ce qui est éternel, et qu’on peut aimer éternellement. Don Dieu et l’âme qui l’aime orment la charité proprement dite ; charité très- pure, parfaite même, s’il ne s’y adjoint aucun autre amour[3] : nous lui donnons aussi le nom de dilection. Or quand Dieu est plus aimé que l’à- me elle-même, en sorte que l’homme aime mieux être à lui qu’à soi, c’est alors, qu’il consulte véritablement et au plus haut degré possible les intérêts de son âme, et par conséquent ceux de son corps ; car, en ce cas, nous n’en prenons plus soin par sensualité, mais en acceptant simplement ce qui s’offre à nous et nous tombe sous la main. Or le poison qui tue la charité, c’est l’espoir d’acquérir ou de conserver des choses temporelles son aliment, c’est l’affaiblissement de la cupidité ; sa perfection, l’abscense de toute cupidité. Le signe de son progrès, c’est la diminution de la crainte ; la marque de sa perfection, l’exemption de toute crainte ; parce que, d’une part, « la cupidité est la racine de « tous les maux[4] ; » et que de l’autre « la charité, parfaite chasse la crainte[5]. » Donc quiconque veut nourir la charité, doit s’attacher à diminuer la cupidité.

Or la cupidité n’est pas autre chose que le désir d’acquérir ou de conserver des choses temporelles ; et le commencement de sa diminution est la crainte de Dieu, du seul être qu’on ne puisse craindre sans l’aimer. En effet on tend ainsi à la sagesse, et rien de plus vrai que ces paroles : « La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse[6]. » Car il n’est personne qui n’ait plus d’aversion pour la douleur que d’attrait pour le plaisir ; jusque-là que nous voyons les bêtes les plus cruelles renoncer aux voluptés les plus sensibles par crainte de la souffrance ; et c’est quand cette disposition est passée chez elles en habitude, que nous les disous domptées et aprivoisées. Mais comme l’homme a la raison ; que la raison, quand elle est misérablement pervertie et mise au service de la passion, lui fait entendre qu’il ne doit point craindre ses semblables, puisque les fautes secrètes peuvent rester inconnues ; qu’elle va même jusqu’à lui suggérer les ruses les mieux combinées pour tenir ses péchés secrets : il en résulte que les hommes que la beauté de la vertu ne charme pas encore, sont plus difficiles à dompter que les bêtes féroces, à moins qu’ils ne soint détournés du péché par la crainte des châtiments que leur annoncent en toute vérité des hommes saints et divins, et qu’ils ne finissent par reconnaitre que ce qu’ils cachent aux hommes ne saurait échapper à l’œil de Dieu. Or pour inspirer à un homme la crainte de Dieu, il faut d’abord lui persuader que tout est gouverné par la divine Providence ; ce qui s’obtiendra moins par des raisonnements, peu compris de celui qui n’a pas encore goûté la beauté de la vertu, que par des exemples, soit récents, s’il s’en rencontre, soit tirés de l’histoire, particulièrement de celle qui par l’attention de la divine Providence elle-mème est revêtue de la sublime autorité de la religion, tant dans l’ancien que dans le nouveau Testament. Mais il faut parler en même temps de la punition des péchés et de la récompense des bonnes actions.

2. Après avoir persuadé au pécheur qu’il est plus facile qu’il ne le pense de se débarrasser de l’habitude de pécher, on commence à lui faire goùter la douceur de la piété, à lui peindre les charmes de la vertu, en sorte que la liberté de l’amour l’emporte à ses yeux sur la servitude de la crainte. Puis, après les avoir initiés aux sacrements de la régénération, qui doivent nécessairement produire une profonde impression, il faut faire saisir aux fidèles la différence qui existe entre les deux hommes : le vieil homme et l’homme nouveau, l’homme extérieur et l’homme intérieur, l’homme terrestre et l’homme céleste ; c’est-à-dire entre celui qui s’attache aux biens charmels et temporels et celui qui recherche les biens spirituels et éternels. Il faut aussi les prévenir qu’ils n’ont point à attendre de Dieu des biens périssables el passagers, lesquels peuvent affluer même chez les méchants ; mais des biens solides, éternels, pour l’acquisition desquels on doit mépriser profondement les prétendus biens et maux de ce monde. On aura soin alors de leur mettre sous les yeux le magnifique. l’incomparable modèle de l’Homme-Dieu qui, après avoir montré en lui par tant de miracles une si grande puissance, a pourtant dédaigné ce

  1. Matt. xxii, 37.
  2. Jean, xvii, 3.
  3. Rét. l. i, ch, xxvi.
  4. I Tim. vi, 10.
  5. I Jean, iv, 13.
  6. Eccl. i, 16.