Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/430

Cette page n’a pas encore été corrigée

si on y regarde de près, on reconnaîtra qu’il ne manque ni ordre ni règle dans l’opposition signalée entre les vices de la chair et les fruits de l’esprit. Si les rapports ne frappent pas d’abord, 'est qu’il n’y a parfois qu’une chose opposée à plusieurs autres. Mais en voyant figurer, en tête des vices charnels, la fornication, et la charité en tête des vertus spirituelles, quel homme appliqué à l’étude des saintes Lettres ne se sent excité à sonder les mystères qui sont ici renfermés ? Qu’est-ce que la fornication ? C’est l’amour qui se détache d’une union légitime, et qui court chercher ailleurs des satisfactions charnelles. Mais qu’y a-t-il d’aussi légitimement uni à Dieu, que l’âme puisant en lui la fécondité spirituelle ? Elle est d’autant plus pure qu’elle s’attache à lui plus inviolablement. Or cet attachement est l’œuvre de la charité. La charité seule conservant ainsi la chasteté de l’âme, est-ce sans motif que saint Paul l’oppose à la fornication ? Les troubles qui naissent dans l’âme à la suite de l’acte de fornication sont de véritables impuretés ; aussi bien l’Apôtre oppose-t-il à 1'impureté la joie d’un cœur tranquille. L’idolâtrie est la dernière des prostitutions de l’âme ; et c’est pour la soutenir qu’a été déclarée à l’Évangile et aux hommes déjà réconciliés avec Dieu, cette guerre furieuse dont les flammes, depuis longtemps éteintes, se rallument pourtant encore. A l’idolâtrie est par conséquent opposée la paix qui nous remet en grâce avec Dieu ; et en gardant cette paix dans nos rapports avec les hommes, nous nous corrigeons des péchés d’empoisonnements, d’inimitiés, de contestations, de jalousies, de colères et de dissensions. De même, quand il s’agit de nous conduire, avec la justice et les égards convenables,: dans nos rapports avec les hommes au milieu desquels nous vivons, la patience nous aide à les supporter ; la bienveillance, à en prendre soin ; et la bonté, à leur pardonner. A quoi bon ajouter que la foi résiste aux hérésies, la douceur à l’envie, la tempérance à l’ivrognerie et à la débauche ?
52. Différence entre la jalousie et l’envie. – Qu’on ne confonde, pas l’envie et la jalousie ; il y a entre elles des points de contact et pour ce motif on les prend souvent l’une pour l’autre, la jalousie pour l’envie et l’envie pour la jalousie. Cependant comme ces deux passions ont ici chacune sa place, nous devons les distinguer. La jalousie est un chagrin que l’âme éprouve de voir quelqu’un parvenir à ce que deux ou même plusieurs convoitaient, quand un seul pouvait y arriver. Elle trouve son remède dans la paix chrétienne, qui nous porte à désirer ce qui ne fait que nous unir lorsque tous nous y parvenons. Pour l’envie, elle est aussi un chagrin que l’âme éprouve, mais lorsqu’elle voit celui qu’elle en répute indigne obtenir ce qu’elle-même ne convoite pas. Son remède est dans la douceur, qui rapporte tout au jugement de Dieu sans résister jamais à sa volonté et qui croit bien ce qu’il a fait plutôt que de s’en rapporter à son appréciation personnelle.
53. Le crucifiement et l’amour[1]. —« Quels sont ceux qui ont crucifié leur chair avec ses passions et ses convoitises ? » L’Apôtre le dit ensuite : « Ce sont ceux qui vivent en Jésus-Christ. » Comment sont-ils arrivés à ce crucifiement, sinon par cette crainte chaste qui subsiste dans les siècles des siècles[2], ce qui nous tient sur nos gardes pour n’offenser pas Celui que nous aimons de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit ? L’épouse adultère a peur que son mari n’ait l’œil sur elle, et l’épouse chaste, qu’il ne s’éloigne : ce n’est pas la même crainte, l’une s’affligeant de la présence de son époux, et l’autre de son absence. Aussi la première espèce de crainte est une crainte corrompue, elle ne veut pas aller au-delà de cette vie ; l’autre est chaste et subsiste pendant l’éternité. C’est par cette dernière que le prophète demande à être cloué à la croix quand il dit : « Pénétrez mes chairs de votre crainte[3] ; » et cette croix est celle dont parle le Seigneur quand il s’écrie : « Prends ta croix et me suis[4]. »
54. La vie de l’esprit[5]. – « Si nous vivons par l’esprit, poursuit saint Paul, recherchons aussi par l’esprit. » Il est évident que notre vie est en rapport avec ce que nous recherchons, et que nous rechercherons ce que nous aimerons. Par conséquent si se trouvent en présence, d’une part ce que commande la justice, d’autre part ce qui flatte les penchants charnels et qu’on aime l’un et l’autre, on se portera à ce qu’on aimera davantage. L’attrait est-il égal ? On ne se portera à rien, mais on sera entraîné quelque part par la crainte ou même malgré soi. La crainte aussi est-elle égale ? On restera sûrement exposé au danger, flottant alternativement au souffle de l’amour et au souffle de la crainte. Ah ! Que la paix du Christ l’emporte alors dans nos cœurs[6].

  1. Gal. 5, 24
  2. Ps. 18, 10
  3. Id. 118,120
  4. Mt. 16, 24
  5. Gal. 5, 25
  6. Col. 3, 15