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châtiment analogue, il s’ensuit qu’il est dit avec raison : « Celui qui les accomplira vivra par elles ; » en d’autres termes, obtiendra pour récompense de n’être pas puni de cette espèce de mort. Conséquemment il n’est pas justifié devant Dieu, puisqu’en mourant après avoir vécu de foi en lui, c’est lui surtout que l’on parviendra à posséder et à contempler de tout près comme récompense suprême. Conséquemment encore on ne vit pas de la foi quand le désir ou la crainte se bornent aux choses présentes qui frappent la vue ; car la foi divine a pour objet les biens invisibles dont on ne jouira que plus tard. Aussi bien y a-t-il dans ces œuvres légales une espèce de justice, puisqu’elles ne sont pas sans récompense, puisqu’en les accomplissant on vivra par elles. Voilà pourquoi l’Apôtre écrit aux Romains : « Si Abraham a été justifié part les œuvres, il a de quoi se glorifier, mais non pas devant Dieu[1]. » Il y a donc une différence entre n’être pas justifié et être justifié devant Dieu. N’être aucunement justifié, c’est ne faire ni ce qui mérite récompense temporelle, ni ce qui mérite récompense éternelle ; mais être justifié par les œuvres de la Loi sans être justifié devant Dieu, c’est avoir droit à une récompense temporelle et sensible ; ce qui est, je le répète, comme une justice terrestre et charnelle ; aussi l’Apôtre donne-t-il le nom de justice à la fidélité à ces observances, quand il dit ailleurs que quant à la « justice de la Loi, il a vécu sans reproche[2]. »
22 Le Christ devenu malédiction pour nous[3]. – Aussi pour en affranchir les croyants, Jésus-Christ Notre-Seigneur n’a-t-il pas accompli à la lettre quelques-unes de ces observances ; et ses disciples ayant rompu, le jour même du sabbat, des épis pour apaiser leur faim, il répondit à ceux qui s’en scandalisaient que le Fils de l’homme était le Maître du sabbat même[4]. Ce fut en n’observant pas à la lettre ces sortes de pratiques qu’il alluma contre lui la haine des hommes charnels ; et s’il accepta le châtiment dont étaient menacés ceux qui n’accomplissaient pas ces observances légales, ce fut pour affranchir les siens de la peur de ce supplice. A cela se rapportent les paroles suivantes de l’Apôtre : « Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la Loi, en devenant malédiction pour nous, car a il est écrit : Maudit quiconque est pendu aubois. » Pour qui comprend cette pensée dans le sens spirituel, elle est un symbole d’affranchissement. La prend-on dans le sens littéral c’est le joug et l’esclavage, si on est juif ; un voile d’aveuglement, si on est païen ou hérétique. Il est vrai, quelques-uns des nôtres, trop peu versés dans la science des Écritures, ont une frayeur exagérée à la vue de cette phrase ; et tout en recevant les livres de l’ancien Testament avec la piété qui leur est due, ils ne croient pas que ces paroles s’appliquent au Seigneur, mais au traître Judas. Aussi, remarquent-ils, il n’est pas écrit : « Maudit quiconque » est attaché au bois, mais : « est pendu au bois ; » ce qui ne se rapporte pas au Seigneur, mais à ce misérable qui s’est pendu. C’est se tromper étrangement et ne pas considérer qu’on s’en prend à l’Apôtre même, car c’est lui qui dit : « Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la Loi, en devenant malédiction pour nous ; car il est écrit : « Maudit quiconque est pendu au bois. » Ainsi, c’est bien Celui qui s’est fait malédiction pour nous qui a été pendu au bois ; autrement c’est le Christ, le Christ qui nous a rachetés de la malédiction de la Loi, afin que nous n’allions plus chercher avec crainte la justice dans les œuvres de la Loi, mais dans la foi qui nous attache à Dieu et qui agit, non par crainte mais par amour. Car l’Esprit-Saint, qui a dit cela par la bouche de Moïse, a également établi que la crainte des châtiments visibles contiendrait les hommes tant qu’ils ne pourraient vivre encore de la foi aux choses invisibles, et qu’ils seraient délivrés de cette crainte lorsque se chargerait du supplice redouté Celui qui en ôtant la crainte pourrait la remplacer parla charité. Si l’Ecriture appelle maudit le Pendu au gibet, il ne faut pas considérer ce terme comme un outrage pour le Seigneur. En effet c’est sa nature mortelle qui y a été suspendue. Or les croyants savent d’où vient en nous la mortalité : elle vient de la condamnation et de la malédiction jetées sur le péché du premier homme ; c’est donc un châtiment dont le Seigneur s’est chargé lorsqu’il a porté sur le gibet nos propres iniquités[5]. Si maintenant on nous disait : La mort est maudite, nul ne frémirait. Or, n’est-ce pas en quelque sorte la mort du Seigneur qui a été suspendue à la croix, quand il a voulu par sa mort triompher de la mort ? Ainsi c’est la mort qui est tout à la

  1. Rom. 4, 2
  2. Phil. 3, 6
  3. Gal. 3, 13-14
  4. Mt. 12, 1-8
  5. 1 Pi. 2, 24