Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/400

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si quelqu’un de ceux à qui Notre-Seigneur reproche ce crime, vient à la foi de Jésus-Christ ; si après avoir dompté sa chair par les austérités de la pénitence il demande le salut avec larmes, comme plusieurs d’entre eux l’ont peut-être déjà fait ; qui donc, je le demande, aurait la cruauté de pousser ferveur jusqu’à nier que ce pécheur ait dû être admis au baptême de Jésus-Christ ou jusqu’à prétendre qu’il y a été admis en vain ? Celui qui, obéissant à un sentiment de haine, blasphème les œuvres de Dieu, doit être regardé comme ayant perdu tout espoir de pardon, puisqu’il résiste par une malice formelle aux biens, c’est-à-dire aux dons de Dieu : or, examinons si l’apôtre saint Paul n’a pas été lui-même un de ces hommes. Ses propres paroles vont nous répondre : « J’étais auparavant, dit-il, blasphémateur, persécuteur et outrageux ; mais j’ai obtenu miséricorde, parce que j’ai agi par ignorance dans l’incrédulité[1]. » Peut-être cependant n’a-t-il pas été coupable de ce grand crime, par la raison que l’envie ne régnait point dans son cœur ? Entendons-le nous dire en un autre endroit : « Nous étions nous-mêmes autrefois insensés et incrédules, livrés à l’erreur, esclaves des voluptés et des passions de toute sorte, vivant dans la malignité et l’envie, abominables, nous haïssant les uns les autres[2]. »

22. Le péché contre le Saint-Esprit est la persévérance dans le mal, accompagnée de désespoir — Si donc on ne refuse le baptême de Jésus-Christ ni aux païens, ni aux Juifs, ni aux hérétiques, ni aux schismatiques qui ne l’ont pas encore reçu, dès qu’ils entrent dans la voie du bien après avoir condamné leur vie passée ; quoiqu’ils aient été, avant leur participation au sacrement de Baptême, les ennemis du christianisme et de l’Église de Dieu et qu’ils aient ainsi résisté au Saint-Esprit par tous les moyens que leur suggérait leur propre malice ; si on accorde le secours de la miséricorde à ceux même qui reviennent au bien et qui demandent la paix de Dieu avec un cœur repentant, quand, après avoir été assez instruits dans la science de la vérité pour recevoir les sacrements, ils sont tombés ensuite et ont résisté au Saint-Esprit ; si enfin, parmi ceux mêmes à qui Notre-Seigneur reprochait le blasphème qu’ils avaient prononcé contre le Saint-Esprit, quelques-uns touchés de repentir ont eu recours à la grâce de Dieu, et ont sans aucun doute trouvé en elle la guérison de leurs maux que reste-t-il à conclure, sinon que le péché contre le Saint-Esprit, auquel Notre-Seigneur déclare que le pardon n’est accordé ni dans le siècle présent, ni dans le siècle à venir, doit être entendu uniquement de la persévérance dans la malice et la malignité, accompagnée du désespoir vis-à-vis de la clémence divine ? Car, c’est en cela précisément que consiste la résistance à la grâce et à la paix de Dieu, dont nous avons commencé à parler dans le présent opuscule. On peut conclure en effet de ce qui précède, que les Juifs eux-mêmes à qui Notre-Seigneur reprochait leur blasphème, n’ont pas perdu le pouvoir de sortir de leur état coupable et de faire une pénitence salutaire. Notre-Seigneur leur disait au moment même où il leur faisait ce reproche : « Ou rendez l’arbre bon et le fruit bon ; ou rendez l’arbre mauvais et le fruit mauvais[3]. » Or, ces paroles n’auraient absolument aucun sens, si par suite de leur blasphème il leur était impossible désormais de renoncer à leurs dispositions mauvaises pour entrer dans des dispositions meilleures ; s’ils ne pouvaient plus à l’avenir produire aucun fruit par de bonnes actions ; ou enfin s’ils produisaient inutilement ces fruits, sans pouvoir obtenir la rémission de leur péché.

23. Jésus veut qu’on espère toujours en lui — Ainsi donc, lorsque le Seigneur chassait les démons par l’Esprit de Dieu, lorsqu’il guérissait les autres maladies ou infirmités corporelles des hommes, il n’avait qu’un seul but : il voulait qu’on reçût avec foi cette parole : « Faites pénitence ; car le royaume des cieux est proche[4]. » La rémission des péchés étant une œuvre spirituelle, il préparait par des miracles la foi en cette rémission : nous en avons la preuve la plus frappante dans la personne du paralytique. Après avoir d’abord offert à celui-ci le bienfait corporel pour lequel il était venu lui-même, car le Fils de l’homme n’était point venu alors pour juger ce monde, mais pour le sauver[5] ; après avoir donc dit à ce paralytique : « Tes péchés te sont remis » entendant les murmures des Juifs qui s’indignaient de ce qu’il leur paraissait s’arroger injustement une si grande puissance : « Laquelle de ces deux choses est la plus facile, ajouta-t-il, de dire : Tes péchés te sont remis ; ou de dire : Lève-toi et marche ? Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés : Je te le commande, « dit-il au paralytique, lève-toi, emporte ton grabat et va dans ta maison[6]. » Il montrait assez par ce fait même et par ces paroles, que s’il accomplissait ces œuvres sur les corps,

  1. 1 Tim. 1, 13
  2. Tit. 3, 3
  3. Mt. 12, 31-33
  4. Id. 3, 2
  5. Jn. 3, 17
  6. Marc 2, 31