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pas eu pour résultat de les toucher et d’exciter leur regret de ne pas comprendre, pour les amener à se convertir un jour, à faire pénitence ; car ils ne pouvaient en venir là, avant de croire ; la foi était la condition de leur conversion ; la conversion, de leur guérison ; et la guérison, de l’ouverture de leur intelligence ; ces mots, disons-nous, prouvent plutôt qu’ils ont été frappés d’aveuglement, pour qu’ils n’eussent point la foi. Ceci en effet est très péremptoire : « C’est pour cela qu’ils ne pouvaient croire. »
2. S’il en est ainsi, qui ne se sentirait pressé de prendre en main la défense des Juifs, et de déclarer qu’ils n’ont pas été coupables de ne pas croire ? En effet, s’ils n’ont pas cru, c’est parce que Dieu les a aveuglés. Mais comme il ne nous est pas permis de rejeter la faute sur Dieu, nous sommes forcés d’admettre qu’ils ont mérité cet aveuglement par d’autres prévarications, quoique cet aveuglement les ait empêchés de croire. Car les paroles de saint Jean sont formelles : « C’est pour cela qu’ils ne pouvaient croître, parce que Isaïe dit encore : Il a aveuglé leurs yeux. » C’est donc en vain que nous nous efforçons de comprendre qu’ils ont été aveuglés, afin d’être amenés à la conversion, puisqu’ils ne pouvaient être convertis, à moins de croire, et qu’ils ne pouvaient croire, en raison de leur aveuglement. Il ne serait peut-être pas hors de raison de dire que plusieurs d’entre les Juifs furent susceptibles d’être guéris de leur aveuglement, mais que l’enflure de leur orgueil était pour eux un si grand obstacle à croire, qu’ils ne purent d’abord s’y résoudre, et qu’en conséquence ils furent aveuglés, au point de ne rien comprendre aux paraboles de Notre-Seigneur : ne comprenant rien à ces paraboles, ils ne crurent pas au Seigneur ; et ne croyant point en lui, ils le crucifièrent ; d’accord avec les méchants, avec ceux que Dieu abandonnait sans retour : mais qu’après la résurrection, leur conversion fut sincère, quand, profondément humiliés de la part qu’ils avaient prise à la mort du Seigneur, ils l’aimèrent en proportion de la joie qu’ils éprouvèrent d’être pardonnés d’un si grand crime ; car tel était leur orgueil, qu’il devait avoir pour remède une humiliation aussi profonde. On pourrait s’élever contre l’inconvenance de cette interprétation, si on n’en lisait aux Actes des Apôtres la réalisation la plus convaincante[1]. Ce passage de saint Jean : « C’est pour cela qu’ils ne pouvaient croire, parce qu’il a aveuglé leurs yeux, afin qu’ils ne voient point » ne contredit donc pas notre interprétation, qu’il les a aveuglés, afin qu’ils se convertissent : en d’autres termes, que les enseignements du Seigneur sont demeurés voilés pour eux à travers les obscurités des paraboles, afin qu’après la résurrection ils revinssent à lui dans les sentiments d’une pénitence plus sincère. Aveuglés par l’obscurité du langage de Notre-Seigneur, ils ne comprirent pas ses paroles ; ne les comprenant point, ils ne crurent pas en lui ; et ne croyant pas en lui, ils le crucifièrent ; puis, après sa résurrection, frappés de crainte à la vue des miracles qui s’opéraient en son nom, ils éprouvèrent une grande componction de leur horrible forfait, se vouèrent à la pénitence, et ayant obtenu la grâce de la conversion, ils en donnèrent la preuve par la charité la plus ardente.
3. En effet, ceux qui ne furent point convertis, parce que ce langage des paraboles provoquait leur aveuglement, le prophète en parle ainsi dans un autre passage, que rapporte également l’Apôtre, à propos de l’obscurité des langues : « Je parlerai à ce peuple en des langues étrangères et inconnues ; et après cela même ils ne m’écouteront point, dit le Seigneur[2]. » Le Seigneur ne dirait pas : « Et après cela même ils ne m’écouteront point » si son dessein n’était d’être écouté par eux après cela : c’est-à-dire, s’il ne voulait, en agissant de la sorte, produire en eux un humble aveu, une recherche exacte de leurs fautes, une conversion sincère et un amour ardent. Telle est aussi d’ailleurs la méthode suivie dans la guérison des corps. La plupart des remèdes font souffrir afin de guérir, et les collyres mêmes, employés pour la guérison des yeux, si l’on est obligé d’en verser sous la paupière, ne peuvent produire un bon effet, qu’après avoir couvert et troublé le sens de la vue.
4. Et qu’on ne soit point surpris de cette autre parole du même Prophète : « Si vous ne croyez point, vous ne comprendrez point [3][4] ; » qu’on n’y voie pas une sorte de contradiction avec ce passage de saint Jean : « Ils ne pouvaient croire, parce que Dieu avait aveuglé leurs yeux ; » ce qui veut dire, que les paraboles de Notre-Seigneur étaient formulées en termes tels, qu’ils ne pouvaient y rien comprendre. Quelqu’un dira en effet Mais s’ils devaient croire pour comprendre, comment

  1. Act. 2, 37
  2. 1 Cor. 12, 21 ; Is. 28, 14
  3. Isa. 7, 9
  4. selon les Sept