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n’était pas là une agitation, un troublé de l’âme, et non la joie, que les bons seuls peuvent goûter ! Donc on peut avoir l’air de dire, quand on se contente de parler, sans comprendre et sans pratiquer ce qu’on exprime ; et c’est en ce sens que le Seigneur dit : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux. » Mais ceux-là parlent véritablement et proprement chez qui la volonté et l’intelligence sont d’accord avec la parole, et c’est à ce point de vue que l’Apôtre a dit : « Personne ne peut dire Seigneur Jésus que par l’Esprit-Saint. »
84. Un point très important et relatif à ce sujet, c’est donc qu’en cherchant à connaître la vérité, nous ne nous laissions point tromper, non seulement par ceux qui se couvrent du nom du Christ sans que leur conduite y réponde, mais encore par certains faits et par certains prodiges, comme le Seigneur en a fait en vue des infidèles, tout en nous avertissant de ne pas nous y laisser prendre et de ne pas toujours supposer une sagesse invisible là où nous voyons un miracle visible. C’est pourquoi il ajoute : « Beaucoup me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en votre nom que nous avons prophétisé, en votre nom que nous avons chassé les démons, et en votre nom que nous avons fait beaucoup de miracles ? Et alors je leur dirai : Je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, ouvriers d’iniquité. » Le Seigneur ne reconnaîtra donc que celui qui pratique la justice. Car il a défendu même à ses disciples de se réjouir de telles choses, par exemple, de ce que les démons leur obéissaient. « Mais, leur dit-il, réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux[1] » c’est-à-dire, je pense, dans cette cité de la Jérusalem céleste, où régneront seulement les justes et les saints. « Ne savez-vous pas, dit l’Apôtre, que les injustes ne posséderont pas le royaume de Dieu[2] ? »
85. Mais peut-être quelqu’un dira-t-il que les injustes ne peuvent faire ces miracles visibles, et regardera-t-il commodes menteurs ceux qui diront : « C’est en votre nom que nous avons prophétisé, et chassé les démons et fait beaucoup de miracles. » Qu’il lise alors tout ce qu’ont fait les magiciens d’Égypte par opposition à Moïse, le serviteur de Dieu[3] ; ou s’il ne le veut pas, par la raison que ces magiciens n’agissaient pas au nom du Christ, qu’il lise au moins ce que le Christ lui-même a dit, en parlant des faux prophètes : « Alors si quelqu’un vous dit : Voici le Christ, ici ou là, ne le croyez pas. Car il s’élèvera de faux « Christs et de faux prophètes ; ils feront de grands signes et des prodiges, jusqu’à induire en erreur, s’il peut se faire, même les élus[4]. »
86. Combien donc un œil pur et simple est nécessaire pour trouver la voie de la sagesse, autour de laquelle les hommes pervers déploient tant d’artifices et d’erreurs ! Échapper, à toutes leurs embûches, c’est parvenir à la paix assurée, à l’immuable et solide sagesse. Car il est extrêmement à craindre de ne pas voir, dans la chaleur de la discussion et de la dispute, ce qu’il n’est donné qu’à un petit nombre de voir ; vu que le bruit de la contradiction est peu de chose, quand on n’en fait pas soi-même. C’est à cela que se rattachent ces paroles de l’Apôtre : « Il ne faut pas qu’un serviteur de Dieu dispute, mais qu’il soit doux envers tous, docile, capable d’enseigner, parlent, reprenant modestement ceux qui sont d’une opinion opposée ; dans l’espérance que Dieu leur donnera un jour l’esprit de pénitence pour connaître la vérité[5]. » Donc : « Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu[6]. »
87. Il faut par conséquent bien faire attention à la terrible conclusion de tout ce discours. « Ainsi quiconque entend ces paroles que je dis et les accomplit, sera comparé à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre. » En effet ce n’est qu’en agissant qu’on donne de la solidité à ce qu’on entend ou à ce qu’on comprend. Et si le Christ est la pierre, comme l’enseignent plusieurs endroits des Écritures[7], celui-là bâti t sur le Christ, qui met ses leçons en pratique. « La pluie est descendue, les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé et sont venus fondre sur la pierre. » Celui-là ne craint donc pas les superstitions ténébreuses, car la pluie n’a pas d’autre signification, quand on la prend en mauvais sens ; ni les vaines rumeurs des hommes, que l’on compare aux vents, je pense ; ni le torrent de celle vie, l’entraînement des concupiscences charnelles qui inonde, pour ainsi dire, la terre. En effet, voilà les trois genres d’adversité qui abattent l’homme que la prospérité séduit, mais on n’a rien à en craindre quand on a une maison, fondée sur la pierre, c’est-à-dire,

  1. Lc. 10, 20
  2. 1 Cor. 6, 9
  3. Ex. 7, 8
  4. Mt. 24, 23-26
  5. 2 Tim. 2, 24
  6. Mt. 5, 9
  7. 1 Cor. 10, 4