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au mot de mal, je pense qu’il a été choisi pour nous indiquer que c’est une punition pour nous, puisque c’est le résultat de la fragilité et de la mortalité que nous nous sommes attirées par le péché[1]. N’aggravez donc pas encore le poids de ce châtiment ; en ne vous contentant pas de subir des besoins temporels, mais en cherchant dans le service de Dieu les moyens d’y satisfaire.
57. Cependant il faut bien prendre garde ici d’accuser de désobéissance au divin précepte et d’inquiétude pour le lendemain, un serviteur de Dieu que nous voyons attentif à se pourvoir des choses nécessaires, ou pour lui ou pour ceux dont le soin lui est confié. Car le Seigneur lui-même, servi par les anges[2], a daigné, pour l’exemple, pour que personne ne se scandalise de voir un de ses serviteurs se procurer les choses nécessaires, a daigné, dis-je, avoir une bourse avec de l’argent, pour fournir aux besoins de la vie ; bourse dont Judas, qui le trahit, fut tout à la fois le gardien et le voleur, comme cela est écrit[3]. Et l’Apôtre Paul aussi pourrait passer pour avoir eu souci du lendemain, lui qui écrit : « Quant aux aumônes que l’on recueille pour les saints, faites, vous aussi, comme je l’ai réglé pour les églises de Galatie. Qu’au premier jour de la semaine, chacun de vous mette à part chez lui et serre ce qui lui plaira, afin que ce ne soit pas quand je viendrai que les collectes se fassent. Lorsque je serai présent, j’enverrai ceux que vous aurez désignés par vos lettres, porter vos charités à Jérusalem. Que si la chose mérite que j’y aille moi-même, ils viendront avec moi. Or je viendrai chez.vous lorsque j’aurai traversé la Macédoine ; car je passerai par la Macédoine. Peut-être m’arrêterai-je chez vous et y passerai-je même l’hiver, afin que vous me conduisiez partout ou j’irai. Car ce n’est pas seulement en passant que je veux vous voir cette fois ; j’espère demeurer quelque temps avec vous, si le Seigneur le permet. Je demeurerai à Ephèse jusqu’à la Pentecôte[4]. » Nous lisons également dans les Actes des Apôtres qu’on s’était procuré des vivres dans l’attente d’une famine prochaine. « Or, en ces jours-là, des prophètes vinrent de Jérusalem à Antioche, et il y eut une grande joie. Et quand nous fûmes assemblés, l’un d’eux, nommé Agabus, se levant, annonçait, par l’Esprit-Saint, qu’il y aurait une grande famine dans tout l’univers ; laquelle, en effet, arriva sous Claude César. Et les disciples résolurent d’envoyer, chacun suivant ce qu’il possédait, des aumônes aux frères qui habitaient dans la Judée. Ce qu’ils firent en effet, les envoyant aux anciens par les mains de Barnabé et de Saul[5]. » Or, lorsque Paul se mit en mer, les provisions qu’on lui offrit paraissent avoir été bien au de là du besoin d’un seul jour[6]. Quant à ce passage d’une de ses épîtres : « Que celui qui dérobait ne dérobe plus, mais plutôt qu’il s’occupe en travaillant de ses mains à ce qui est bon, pour avoir de quoi donner à qui est dans le besoin[7] » ceux qui le comprennent mal croient y voir une contradiction avec le précepte du Seigneur : « Regardez les oiseaux du ciel ; ils ne sèment ni ne moissonnent ni n’amassent dans des greniers » et encore : « Voyez les lis des champs, comme ils croissent ; ils ne travaillent ni ne filent » tandis que l’Apôtre veut qu’on travaille de ses mains pour avoir de quoi donner aux autres. Et lorsque, parlant de lui-même, il dit qu’il a travaillé de ses mains pour n’être à charge à personne[8] ; et qu’on écrit de lui qu’il s’était joint à Aquila pour travailler avec lui et gagner sa vie[9], il ne semble pas qu’il ait imité les oiseaux du ciel ni les lis des champs. Mais par ces passages des Écritures et beaucoup d’autres du même genre on voit assez que Notre-Seigneur ne désapprouve pas celui qui se procure ces ressources par des moyens humains ; mais seulement le ministre de Dieu qui travaille en vue d’obtenir des avantages temporels et non le royaume de Dieu.
58. Donc tout le commandement se réduit à cette règle : Qu’on s’occupe du royaume de Dieu même en se pourvoyant des choses matérielles, et qu’on ne songe point aux choses matérielles lorsqu’on combat pour le royaume de Dieu. Par là, quand même ces ressources nous feraient défaut, ce que Dieu permet souvent pour nous exercer, non seulement notre résolution n’en serait point ébranlée, mais elle n’en serait qu’éprouvée et affermie. « Car, dit l’Apôtre, nous nous glorifions dans les tribulations, sachant que la tribulation produit la patience ; la patience, la pureté ; et la pureté l’espérance. Or l’espérance ne confond point, parce que la charité est répandue en nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[10]. » Or, parmi les tribulations

  1. Rét. 1, ch. XIX. n. 6
  2. Mt. 4, 16
  3. Jn. 12, 6
  4. 1 Cor. 16, 1-8
  5. Act. 11, 27-30
  6. Ib. 28, 10
  7. Eph. 4, 25
  8. 1 Thes. 2,9 ; 2 Thes. 3, 8
  9. Act. 18, 2, 3
  10. Rom. 5, 3-5