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CHAPITRE XVI. NE PAS ÉVANGÉLISER POUR VIVRE, MAIS VIVRE POUR ÉVANGÉLISER.

53. « Ne vous inquiétez donc point disant Que mangerons-nous ou que boirons-nous, ou de quoi nous vêtirons nous ? Car ce sont toutes choses que les païens recherchent ; mais votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. » Le Seigneur nous montre ici très clairement qu’on ne doit point rechercher ces biens de façon à les avoir en vue dans les bonnes actions ; mais que pourtant ils sont nécessaires. Il nous fait voir aussi quelle différence il y a entre le bien qu’il faut rechercher, et le nécessaire qu’il faut recevoir ; quand il nous dit : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. » Le royaume de Dieu et sa justice : voilà donc notre bien, ce que nous devons rechercher, où nous devons placer notre fin dernière, le but en vue duquel il faut faire tout ce que nous faisons. Mais comme nous luttons en cette vie pour pouvoir arriver à ce royaume, et que ces choses nous sont indispensables pour vivre, le Seigneur ajoute : « Toutes ces choses vous seront données par surcroît. » Mais cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice. » En disant : « premièrement » il indique que le reste est à ta seconde place, non pour le temps, mais pour l’importance. L’un doit être recherché comme notre bien propre, l’autre comme une nécessité ; mais celui-ci en vue de celui-là.

54. Ainsi, par exemple, nous ne devons pas évangéliser pour manger, mais manger pour évangéliser ; car évangéliser pour manger, ce serait mettre l’Évangile au dessous des aliments ; ceux-ci seraient notre bien et celui-là notre nécessaire. Et c’est ce que l’Apôtre défend ; en disant qu’il a droit d’user de la permission accordée par le Seigneur, à ceux qui annoncent l’Évangile de vivre de l’Évangile, c’est-à-dire d’en tirer ce qui est nécessaire à la vie ; mais que pourtant il n’a point abusé de ce pouvoir. Car il y avait alors bien des hommes qui cherchaient l’occasion d’acheter et de vendre l’Évangile ; et pour supprimer cet abus, l’Apôtre pourvoyait à sa nourriture de ses propres mains[1]. C’est d’eux qu’il dit ailleurs : « Pour ôter l’occasion à ceux qui cherchent l’occasion[2]. » Du reste si, comme les vrais Apôtres, il eût vécu, de l’Évangile suivant la permission du Seigneur, la nourriture n’eût pas été pour lui le but de la prédication, mais bien la prédication le but de la nourriture ; c’est-à-dire il n’eût pas évangélisé pour gagner ses aliments et les autres objets nécessaires à la vie, mais il eût usé de ceux-ci pour évangéliser par amour et non par besoin, ce dont il ne veut pas quand il dit : « Ne savez-vous pas que les ministres du temple mangent de ce qui est offert dans le temple, et que ceux qui servent à l’autel ont part à l’autel ? Ainsi le Seigneur lui-même a prescrit à ceux qui annoncent l’Évangile de vivre de l’Évangile. Pour moi je n’ai usé d’aucun de ces droits. » Par là il fait voir que c’est une permission et non un ordre ; autrement il serait coupable de désobéissance à la loi du Seigneur. Puis il continue et dit : « Je n’écris donc pas ceci pour qu’on use ainsi envers moi ; car j’aimerais mieux mourir que de laisser quelqu’un m’enlever cette gloire. » Il dit cela parce qu’il avait déjà résolu de gagner lui-même sa vie, à cause de ceux qui cherchaient l’occasion. « Car si j’évangélise, dit-il, la gloire n’en est pas à moi » c’est-à-dire si j’évangélise pour qu’on en use ainsi envers moi, c’est-à-dire encore, si j’évangélise pour obtenir ces choses, j’aurai placé le but de la prédication dans la nourriture, la boisson et le vêtement. Mais pourquoi la gloire n’en est-elle pas à lui ? Ce m’est une nécessité » répond-il ; c’est-à-dire il faudra alors que j’évangélise parce que je n’ai pas de quoi vivre, ou pour retirer un profit temporel de la prédication des vérités éternelles : par là en effet je ne prêcherai plus volontairement l’Évangile, mais par nécessité. « Et malheur à moi, ajoute-t-il, si je n’évangélise[3] » Mais comment doit-il évangéliser ? En cherchant sa récompense dans l’Évangile même et dans le royaume de Dieu : de cette manière ce ne sera plus par nécessité, mais de bonne volonté qu’il pourra évangéliser. « Car si je le fais de bon cœur, j’aurai la récompense : mais si je ne le fais qu’à regret, je dispense seulement ce qui m’a été confié[4] » c’est-à-dire si je prêche l’Évangile parce que j’y suis forcé pour subvenir aux nécessités de la vie, d’autres en recueilleront le profit en s’attachant à l’Évangile que je prêche ;

  1. Act. 20, 34
  2. 2 Cor. 11, 14
  3. 2 Cor. 11, 14
  4. 1 Cor. 9, 11-17