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Et qui trouverez-vous d’aussi sévère que Celui qui n’a pas épargné les branches naturelles, mais les a brisées à cause de leur infidélité[1] ? Donc que celui qui veut aimer Dieu et éviter de l’offenser, ne s’imagine pas qu’il peut servir deux maîtres ; mais qu’il purifie son intention et garantisse son cœur de toute duplicité ; alors il aimera Dieu dans sa bonté et le cherchera dans la simplicité de son cœur[2].

CHAPITRE XV. SOLLICITUDES SUPERFLUES.

49. « C’est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez point pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous vous vêtirez. » De peur que peut-être, sans chercher le superflu, le cœur ne devienne double à la recherche du nécessaire, que notre intention ne se détourne vers nos propres intérêts, quand nous paraissons faire œuvre de miséricorde à l’égard du prochain ; c’est-à-dire de peur que tout en voulant rendre service à un autre, nous n’avions bien plutôt nos propres avantages en vue ; puis que nous nous croyions innocents, parce que nous ne cherchons pas le superflu, mais le simple nécessaire. Le Seigneur veut que nous nous rappelions qu’en nous créant et en nous composant d’une âme et d’un corps, Dieu nous a donné beaucoup plus que la nourriture et le vêtement, et il ne veut pas que le souci de ces nécessités rende notre cœur double. « L’âme, dit-elle, n’est-elle pas plus que la nourriture ? » Pour vous faire entendre que Celui qui vous a donné la vie, vous donnera bien plus facilement encore la nourriture. « Et le corps plus que le vêtement ? » c’est-à-dire est davantage : également pour que vous compreniez que Celui qui vous a donné votre corps, vous donnera plus facilement encore de quoi le vêtir.

50. On demande ici quel rapport a la nourriture avec l’âme, puisque l’une est incorporelle et l’autre matérielle. Mais, âme est mis ici pour vie, et c’est la nourriture matérielle qui entretient la vie. C’est en ce sens qu’on a dit : « Celui qui aime son âme, la perdra[3] » Si âme ne signifiait pas cette vie présente qu’il faut perdre pour acquérir le royaume de Dieu, comme évidemment les martyrs l’ont fait, il y aurait contradiction avec cet autre passage : « Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il vient à perdre son âme[4] ? »

51. « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ni n’amassent dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit ; n’êtes-vous pas plus qu’eux ? » c’est-à-dire, vous valez davantage. En effet un animal doué de raison, comme l’homme, est placé plus haut dans l’ordre de la nature que des animaux privés de raison, comme sont les oiseaux. « Or qui de vous, en s’inquiétant beaucoup, peut ajouter à sa taille une seule coudée ? » C’est-à-dire celui qui, par sa puissance et sa volonté, a fait croître votre corps jusqu’à la taille qu’il a, saura bien aussi, par les soins de sa Providence, lui procurer des vêtements. Or vous comprendrez que votre taille n’est point votre ouvrage par cela que, malgré toutes vos inquiétudes et vos désirs, vous ne pourriez y ajouter une seule coudée ; laissez donc le soin de vêtir votre corps à Celui qui lui a donné sa taille.

52. Il fallait donner un exemple pour le vêtement comme pour la nourriture. Aussi le Seigneur ajoute-t-il : « Voyez les lis des champs ; comme ils croissent ; ils ne travaillent ni ne filent. Or je vous dis que Salomon même dans toute sa gloire, n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux. Que si l’herbe des champs qui est aujourd’hui et qui demain sera jetée dans le four, Dieu la vêtit ainsi, combien plus vous, hommes de peu de foi ? » Mais nous n’avons pas à discuter ces exemples comme allégories, ni à chercher ce que signifient ici les oiseaux du ciel et les lis des champs : car on nous propose simplement des objets d’une nature inférieure pour nous faire entendre des choses d’un ordre plus élevé. Telle est dans un autre endroit, la comparaison du juge qui ne craignait pas Dieu, n’avait point d’égards pour l’homme, et néanmoins céda aux instances de la veuve, non par sentiment de piété ou d’humanité, mais pour se débarrasser de ses importunités. Car ce juge inique ne représente Dieu en aucune façon, même allégoriquement ; mais le Seigneur a voulu nous faire comprendre combien Dieu, qui est bon et juste, a soin de ceux qui le prient, puisque même un homme injuste ne peut repousser ceux qui le fatiguent de leurs réclamations, ne fût-ce que pour se soustraire à l’ennui de les entendre[5].

  1. Rom. 11,17-22
  2. Sag. 1, 1
  3. Jn. 12, 25
  4. Mat. 16, 26
  5. Luc. 18, 2-8