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Il faut entendre ce passage en ce sens : soyons bien convaincus que nos actions sont pures et agréables aux yeux du Seigneur, quand elles sont faites avec un cœur simple, c’est-à-dire dans une intention surnaturelle et finale de charité ; car l’amour est la plénitude de la loi[1]. L’œil signifie ici l’intention même qui dirige toutes nos actions ; si elle est pure et droite, si elle a en vue ce qu’il faut avoir en vue, tout ce que nous ferons pour elle sera nécessairement bon. Et ce sont ces œuvres dans leur ensemble que le Seigneur appelle tout le corps ; comme l’Apôtre appelle nos membres certaines actions qu’il désapprouve, qu’il ordonne de faire mourir en disant : « Faites donc mourir vos membres qui sont sur la terre : la fornication, l’impureté l’avarice[2] » et autres choses de ce genre.
46. Ce n’est donc pas à l’action, mais au motif de l’action, qu’il faut s’attacher. Et c’est là la lumière qui est en nous, parce que c’est là ce qui nous révèle que nous agissons avec une bonne intention : car tout ce qui se découvre est lumière[3]. Mais en tant que nos actes ont rapport à la société humaine, leur résultat est incertain ; aussi le Seigneur les nomme-t-il ténèbres. En effet quand je donne l’aumône à un pauvre qui me la demande, je ne sais ce qu’il en fera, ce qui en résultera pour lui ; il peut arriver qu’il en abuse ou qu’il en éprouve quelque chose de fâcheux, que je ne voulais pas, qui était loin de ma pensée, lorsque je la lui donnais. Si donc j’ai agi avec bonne intention et avec conscience de cette bonne intention, c’est ce qu’on appelle la lumière : quelqu’en soit le résultat, mon action est éclairée ; l’incertitude et l’ignorance où je suis du résultat, voilà les ténèbres. Que si j’ai agi avec mauvaise intention, la lumière elle-même devient ténèbres. En effet il y a lumière, parce que chacun sait dans quel esprit il agit, même quand il agit dans un mauvais esprit ; mais la lumière devient ténèbres, parce que l’intention n’est pas simple ni dirigée en haut, mais ramenée en bas et qu’elle crée une sorte d’obscurité par la duplicité du cœur. « Si donc la lumière qui est en vous est ténèbres, les ténèbres elles-mêmes que seront-elles ? » c’est-à-dire : Si l’intention même du cœur, qui anime vos actions et que vous connaissez, est gâtée et aveuglée par la convoitise des choses terrestres et passagères : combien plus l’action elle-même, dont le résultat est incertain, sera-t-elle impure et ténébreuse ? Et quand même ce que vous faites avec une intention qu : n’est ni pure ni droite, profiterait à un autre, ce n’est pas ce profit, mais le motif même de votre action qui vous sera imputé.

CHAPITRE XIV. ON NE PEUT SERVIR DIEU ET LE DÉMON.

47. Quant aux paroles qui suivent : « Personne ne peut servir deux maîtres » il faut encore les rapporter à l’intention. Le Sauveur lui-même les explique en disant : « Car ou il haïra a l’un et aimera l’autre, on il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. » Il faut soigneusement méditer ce passage ; et le Seigneur lui-même indique quels sont ces deux maîtres, en disant : « Vous ne pouvez pas servir Dieu et Mammon. » Les Hébreux donnent, dit-on, aux richesses le nom de Mammon. En langue punique, le mot a le même sens ; car Mammon signifie gain. Or servir Mammon, c’est être l’esclave de celui que sa perversité a mis à la tête des choses terrestres et que le Seigneur appelle prince de ce siècle[4]. Donc ou l’homme le haïra et aimera l’autre » c’est-à-dire Dieu ; « ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. » En effet quiconque est esclave des richesses, s’attache à un maître dur et funeste ; car enchaîné par la cupidité, il est soumis au démon ; et il ne l’aime pas, car et qui peut aimer le démon mais cependant il le supporte ; comme dans une grande maison, celui qui est uni à une servante étrangère, subit à cause de sa passion un rude esclavage, bien qu’il n’aime pas celui dont il aime la servante.
48. « Ou il méprisera l’autre » le Seigneur ne dit pas : il haïra ; car personne peut-être ne peut sérieusement haïr Dieu [5] ; mais il le méprise, c’est-à-dire ne le craint plus, comme s’il se rassurait sur sa bonté. L’Esprit-Saint cherche à nous tirer de cette négligence et de cette fatale sécurité, quand il nous dit : « Mon fils, n’ajoute pas péché sur péché et ne dis pas : La miséricorde de Dieu est grande[6] » et encore : « Ignorez-vous que la patience de Dieu vous invite à la pénitence[7] ? » Qui trouverez-vous d’aussi miséricordieux que Celui qui pardonne tous leurs péchés à ceux qui se convertissent et qui donne la fertilité de l’olivier au rejeton sauvage ?

  1. Rom. 13, 10
  2. Col. 3, 5
  3. Eph. 5, 13
  4. Jn. 12, 31 ; 16, 30
  5. Rét.l. 1, ch. 19 n. 3
  6. Sir. 5, 5, 6
  7. Rom. 2, 4