Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/309

Cette page n’a pas encore été corrigée


la figure. Se parfumer la tête, indique la joie ; se laver la figure, marque la propreté ; par conséquent se réjouir intérieurement, par l’esprit et par la raison, c’est se parfumer la tête. Nous pouvons en effet donner le nom de tête à la faculté principale de l’âme, à celle qui règle et domine visiblement tout l’homme. Or c’est ce que fait celui qui ne cherche point la gloire extérieure, qui ne met point une complaisance charnelle dans les louanges des hommes. Car la chair, qui doit être sujette, n’est point du tout la tête de toute la nature humaine. Sans doute personne n’a jamais haï sa chair, n comme dit l’Apôtre, en parlant de l’amour d’un homme pour sa femme[1] ; mais le chef de la femme c’est l’homme, et le chef de l’homme c’est le Christ[2]. Ainsi, que celui qui veut parfumer sa tête selon l’ordre donné, se réjouisse intérieurement dans son jeûne, en tant qu’il se détourne par là des plaisirs du siècle pour se soumettre au Christ. De cette manière il lavera sa figure, c’est-à-dire il purifiera son cœur, pour voir Dieu en écartant le voile produit par l’infirmité née de la souillure du péché ; il sera ferme et solide, parce qu’il sera pur et simple. « Lavez-vous, dit le prophète, purifiez-vous, faites disparaître vos iniquités de vos âmes et de devant mes yeux[3]. » Nous devons donc purifier notre visage des souillures qui blessent les regards de Dieu. Car, pour nous, contemplant à face découverte la gloire du Seigneur, nous serons transformés en la même image[4].

CHAPITRE XIII. DÉSINTÉRESSEMENT ET PURETÉ D’INTENTION.

43. Souvent aussi le souci des nécessités de la vie blesse et, souille notre œil intérieur ; le plus souvent il rend notre cœur double, en sorte que ce que nous semblons faire de bien aux hommes, n’est plus animé du motif que Dieu exige, c’est-à-dire de l’esprit de charité, mais inspiré par l’intention d’obtenir d’eux quelque chose d’utile aux besoins de la vie présente. Or c’est leur salut éternel, et non un avantage propre et temporel, que nous devons avoir en vue dans le bien que nous leur faisons. Que Dieu incline donc notre cœur vers ses commandements, et le détourne de la cupidité[5]. Car la fin du précepte est la charité qui vient d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi non feinte[6]. Or celui qui rend service à un frère pour subvenir à ses propres besoins, n’agit évidemment pas par charité : ce n’est pas dans l’intérêt de celui qu’il doit aimer comme lui-même, mais dans son intérêt personnel qu’il agit ; ou plutôt ce n’est pas même à son profit : car il se fait par là un cœur double qui l’empêche de voir Dieu, et voir Dieu est pourtant le seul bonheur certain et durable.

44. C’est donc avec raison que Celui qui travaille avec tant d’instance à purifier notre cœur, continue à donner ses ordres, en disant : « Ne vous amassez point des trésors sur la terre, où les vers et la rouille rongent, et où les voleurs fouillent et dérobent ; mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où ni les vers ni la rouille ne rongent, et où les voleurs ne fouillent ni ne dérobent. Où est en effet ton trésor, là est aussi ton cœur. » Donc si le cœur est sur la terre, c’est-à-dire si on agit dans le but d’acquérir des biens terrestres, ce cœur ne peut être, pur puisqu’il se vautre dans la boue. Mais s’il est dans le ciel, il est pur, parce que tout est pur dans le ciel. Tout ce qui se mêle à un objet de nature inférieure, quoique non impur dans son genre, devient impur lui-même ; ainsi l’or se souille en se mélangeant avec de l’argent pur. De même notre âme se salit par la convoitise des choses terrestres, quoique la terre ne soit pas immonde dans son espèce et dans le rang qu’elle occupe. Ici par ciel nous n’entendons pas le ciel matériel : le mot terre signifie tout ce qui est corps. Car c’est le monde entier que doit mépriser celui qui s’amasse des trésors dans le ciel. Nous devons donc placer notre trésor et notre cœur dans le ciel dont il est dit : « Le ciel des cieux appartient au Seigneur[7] » c’est-à-dire dans le firmament spirituel ; non dans le firmament qui passera, mais dans celui qui subsistera à jamais. Or le ciel et la terre passeront[8].

43. Le Seigneur fait voir que tous ces commandements se rapportent à la pureté du cœur quand il dit : « La lampe de votre cœur est votre œil. Si donc votre œil est simple, tout votre corps sera lumineux, mais si votre œil est mauvais, tout votre corps sera ténébreux. Si donc la lumière qui est en vous est ténèbres, les ténèbres elles-mêmes que seront-elles ? »

  1. Eph. 5, 25-33
  2. 1 Cor. 11, 3
  3. Isa. 1, 16 ; 2 Cor. 3, 18
  4. Ps. 118, 36
  5. 5
  6. 1 Tim. 1, 6
  7. Ps. 113, 16
  8. Mt. 24, 35