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disant : Notre Père. Ce nom excite tout à la fois et l’amour, qu’y a-t-il de plus cher pour des enfants qu’un Père ? et l’affection dans la prière, puisque nous disons Notre Père ; et un certain espoir d’obtenir ce que nous allons demander, puisque, avant même de demander, Dieu nous accorde déjà une si grande faveur, la permission de lui dire : Notre Père. Que peut-il en effet refuser à la prière de ses enfants, quand il leur a déjà préalablement permis d’être ses enfants. Enfin quelle sollicitude ces mots : Notre Père, n’éveillent-ils pas dans le cœur, pour ne pas se montrer indigne d’un Père si grand ? En effet si un sénateur, d’un âge avancé, permettait à un homme du peuple de l’appeler son père, sans doute celui-ci, saisi de frayeur, l’oserait à peine, en réfléchissant à l’humilité de sa naissance, à sa pauvreté, à sa basse condition ; à combien plus forte raison, faut-il redouter d’appeler Dieu son Père, si l’âme est tellement souillée, si la conduite est tellement coupable qu’elles inspirent à Dieu une répulsion bien plus juste que celle qu’un sénateur éprouverait pour les haillons d’un mendiant ? Car, après tout, ce riche ne dédaigne dans un mendiant qu’une situation où il peut tomber lui-même par l’effet de la fragilité des choses de ce monde ; tandis que Dieu ne peut jamais tenir une mauvaise conduite. Grâces donc à la miséricorde de ce Dieu qui exige que nous l’ayons pour Père : ce qui peut s’obtenir sans aucune dépense et par le seul effet de la bonne volonté. Avis aussi aux riches, ou aux nobles selon ce siècle, devenus chrétiens, d’être sans hauteur vis-à-vis des pauvres ou des gens d’humble condition ; parce qu’ils disent avec tous les autres : Notre Père, ce qu’ils ne pourraient faire avec vérité et avec piété, s’ils ne se reconnaissaient frères des autres hommes.

CHAPITRE V. QUI ÊTES AUX CIEUX. – QUE VOTRE NOM SOIT SANCTIFIÉ.


17. Que le peuple nouveau, appelé à l’héritage éternel, emprunte donc la voix du nouveau Testament et dise : « Notre Père qui êtes dans les cieux » c’est-à-dire dans les saints et dans les justes. Car Dieu n’est point renfermé dans l’espace. Les cieux sont sans doute les corps les plus excellents de ce monde, mais ce sont des corps et ils ne peuvent être que dans l’espace. Et si l’on s’imagine que Dieu y réside localement comme dans la partie la plus élevée de ce monde, il faudra dire que les oiseaux ont plus de valeur que nous : car ils vivraient plus près de Dieu. Or il n’est pas écrit. Dieu est près des hommes haut placés, ou qui habitent sur les montagnes ; mais bien : « Dieu est près de ceux qui ont le cœur contrit » et la contrition est le propre de l’humilité. Et comme on donne au pécheur le nom de terre, quand on lui dit : « Tu es terre et tu iras en terre[1] » ainsi, par contre, on peut appeler le juste, ciel. En effet on dit aux justes : « Car le temple de Dieu est saint et vous êtes ce temple[2]. » Donc si Dieu habite dans son temple, et si les saints sont ce temple, on a raison d’interpréter : « Qui êtes dans les cieux » par : qui êtes dans les saints. Et cette comparaison est d’autant plus juste qu’on peut dire qu’il y a spirituellement autant de distance entre les justes et les pécheurs, qu’il y en a matériellement entre le ciel et la terre.
18. C’est pour exprimer cette pensée que, lorsque nous prions, nous nous tournons vers f0rient, le point de départ du ciel ; non que Dieu y habite et ait quitté les autres parties du monde, lui qui est présent partout, non d’une manière locale, mais par la puissance de sa majesté ; seulement l’esprit est averti par là de se tourner vers la nature la plus parfaite, c’est-à-dire vers. Dieu, puisque son corps qui est terrestre est tourné vers le corps le plus parfait, qui est le ciel. Il est en effet convenable et même très avantageux au progrès de la religion, que tous, petit ; et grands, aient de Dieu de justes idées. Voilà pourquoi il faut supporter ceux qui étant encore captivés par les beautés visibles, ne pouvant se figurer rien d’incorporel, et estimant nécessairement le ciel plus que la terre, croient que Dieu, dont ils se forment encore une idée matérielle, habite dans le ciel plutôt que sur la terre ; afin que, quand ils sauront un jour que l’âme l’emporte en dignité jusque sur le ciel ils cherchent Dieu dans l’âme plutôt que dans un corps même céleste ; et que, quand ils sauront la distance qui sépare les justes des pécheurs, eux qui n’osaient pas, dans leurs idées charnelles, placer le séjour de Dieu sur la terre, mais dans le ciel, désormais plus éclairés dans leur foi et dans leur intelligence, le cherchent dans les âmes des justes plutôt que dans celles des pécheurs. C’est donc avec raison que ces paroles : « Notre Père qui êtes dans les cieux » s’entendent du cœur des

  1. Gen. 3, 19
  2. 1 Cor. 3, 17