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pas comprendre, il y a là une contradiction pourtant en disant qu’il ne plaît pas aux hommes, il veut dire qu’il ne fait pas le bien pour leur plaire, mais pour plaire à Dieu, à l’amour duquel il voulait amener tous les hommes en cherchant à leur plaire. Il avait donc raison de dire qu’il ne plaisait pas aux hommes, parce qu’en cela il n’avait en vue que de plaire à Dieu : et il n’avait pas moins raison de recommander de plaire aux hommes, non pour chercher là une récompense à de bonnes actions, mais parce qu’on ne peut plaire à Dieu sans se présenter comme modèle à ceux qu’on veut sauver, et que personne n’est tenté d’imiter celui qui ne lui plaît pas. Ainsi comme il ne serait point déraisonnable de dire : En prenant la peine de chercher un vaisseau, ce n’est pas un vaisseau, mais une patrie, que je, cherche ; de même l’Apôtre pouvait dire : En cherchant à plaire aux hommes, ce n’est pas aux hommes, mais à Dieu que je plais : car, mon but n’est pas là, mais je tends à être imité par ceux que je veux sauver. C’est ainsi qu’il dit en parlant des oblations faites pour les saints « Non que je recherche vos dons, mais je désire le fruit qui en résultera[1] » c’est-à-dire en recherchant vos dons, ce ne sont pas vos dons que je recherche, mais les fruits qui en résulteront pour vous. Car c’était là un indice du progrès qu’ils avaient faits dans les voies du Seigneur, puisqu’ils offraient de bon cœur ce que l’Apôtre leur demandait, non pour son plaisir, mais pour entretenir les liens de la charité.
4. Quant à ce que le Seigneur ajoute : « Autrement vous n’aurez point de récompense de votre Père qui est dans les cieux » cela prouve simplement que nous devons nous tenir en garde pour ne pas chercher la récompense de nos bonnes œuvres dans les louanges humaines, c’est-à-dire pour ne pas nous imaginer que nous puissions y trouver le bonheur.


CHAPITRE II. HYPOCRISIE. – MAIN GAUCHE.


5. « Lors donc que tu fais l’aumône, ne sonne pas de la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, afin d’être honorés des hommes. » C’est-à-dire ne cherche pas, comme les hypocrites, à te faire un noie. Or il est clair que l’hypocrite n’a point dans le cœur les sentiments qu’il affecte aux yeux, des hommes. Car il simule, joue, pour ainsi dire, le rôle d’un autre, comme les acteurs au théâtre. En effet celui qui représente, dans une tragédie, Agamemnon, par exemple, ou tout autre personnage historique ou fabuleux, n’est point ce personnage même ; mais il fait semblant de l’être' et on l’appelle comédien. Ainsi quiconque, dans l’Eglise ou dans toute condition humaine, veut paraître ce qu’il n’est pas, est un comédien. Il feint d’être juste, et ne l’est pas réellement, parce qu’il place tout, son profit dans la louange humaine, que, les hypocrites peuvent, obtenir en trompant ceux à, qui ils paraissent, bons et en recevant leurs éloges. Mais de tels hommes ne reçoivent, du, Dieu qui lit dans les cœurs, d’autre récompense que la punition due à la fourberie : car, dit le Saveur, « ils, ont reçu » des hommes « leur récompense ;» et c’est avec, grande raison qu’on leur dira : Retirez-vous de moi, ouvriers de fraude ; vous avez porté mon nom, mais vous n’avez pas fait mes œuvres. Ceux-là donc ont reçu leur, récompense, quine font l’aumône que pour être honorés des hommes ; non pas précisément parce qu’ils sont honorés, mais parce qu’ils ont agi pour être honorés, ainsi, que nous l’ayons exposé plus haut. En effet la, louange humaine ne doit, pas être recherchée, par celui qui fait le bien, mais l’accompagner ; pour le ; profit de ceux qui peuvent imiter ce qu’ils louent, et non, pour que celui qu’ils louent croie tirer quelque profit de leurs éloges.
6. « Pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite. » Si par main gauche vous entendez ici les infidèles, il vous semble qu’il n’y a pas de mal à chercher à plaire aux fidèles, bien : qu’on nous défende absolument de fixer, pour but et pour prix de nos bonnes œuvres, les louanges de qui que ce soit : Au, point de vue de l’imitation de la, part de ceux qui auront approuvé votre conduite, vous, ne devez pas être modèle pour les fidèles seulement, mais aussi pour les infidèles, afin que la vue de vos bonnes œuvres, objets de leurs éloges, les porte à honorer Dieu : et les attire au salut. Que si par main gauche vous entendez un ennemi, ce qui voudrait dire que votre ennemi doit ignorer votre aumône : pourquoi le Seigneur lui-même a-t-il guéri des hommes avec tant de bonté au milieu des Juifs ses ennemis ? Pourquoi l’apôtre Pierre, après avoir guéri par compassion le boiteux près de la porte

  1. Phil. 4, 17