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CHAPITRE XIX.

VENGEANCE. — JUSTICE DES PHARISIENS ET JUSTICE DES CHRÉTIENS. — JOUE DROITE. — TUNIQUE. — ESCLAVAGE.

56. Le Seigneur continue et dit : « Vous avez entendu qu’il a été dit : Œil pour œil, dent pour dent. Et moi je vous dis de ne point résister aux mauvais traitements ; mais si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui encore l’autre ; et à celui qui veut t’appeler en justice pour t’enlever ta tunique, abandonne-lui encore ton manteau ; et quiconque te contraindra de faire avec lui mille pas, fais-en deux autres mille. Donne à qui te demande, et ne te détourne point de celui qui veut emprunter de toi. » La justice du pharisien consiste à ne pas dépasser la mesure quand on se venge, à ne pas rendre plus qu’on n’a reçu ; et c’est déjà un grand point. On ne trouve pas aisément un homme qui ne rende qu’un coup de poing pour un coup de poing ; qui, pour un seul mot d’injure, se contente de répondre par un seul mot de même valeur. Ou dans le trouble de la colère on se venge outre mesure ; ou bien on s’imagine que la justice exige que l’offensant soit plus maltraité que l’offensé. Ces dispositions avaient déjà trouvé un frein puissant dans la loi, où on lisait : « Œil pour œil, dent pour dent » expression qui voulait dire que la vengeance ne doit pas dépasser l’injure. C’est déjà là un commencement de paix ; mais la perfection de la paix consiste à renoncer même à cette espèce de vengeance.

57. Entre ces deux dispositions dont l’une, au mépris de la loi, rend un mal plus grand pour un mal moindre, et dont l’autre, pratiquant la perfection indiquée par le Seigneur à ses disciples ne rend en aucune façon le mal pour le mal, il y a un moyen terme qui consiste à rendre autant de mal qu’on en a reçu : transition de l’extrême discorde à la concorde parfaite, mesure proportionnée aux besoins du temps. Voyez quelle distance il y a de l’homme qui attaque le premier dans le but de blesser et de nuire, et celui qui ne rend point injure pour injure ! Celui qui n’attaque pas le premier, mais qui, ou de volonté ou de fait, rend plus de mal qu’il n’en a reçu, s’éloigne un peu de l’extrême injustice, fait un premier pas vers la justice parfaite, et cependant n’en est pas encore au point fixé et exigé par la loi de Moise. Celui donc qui rend autant qu’il a reçu, fait déjà une concession ; car il ne doit pas y avoir égalité de peine entre le coupable et l’innocent. C’est donc cette justice commencée, non sévère, mais miséricordieuse que perfectionne Celui qui est venu, non abolir la loi, mais l’accomplir. Il abandonne ainsi à l’intelligence de ses auditeurs les deux degrés d’intervalle, et préfère parler de la perfection même de la miséricorde. Car il reste encore quelque chose à faire à celui qui ne remplit pas dans toute son étendue un précepte imposé en vue du royaume des cieux ; c’est de ne pas rendre autant, mais seulement, moins qu’il n’a reçu, par exemple un coup de poing pour deux, l’amputation d’une oreille pour la perte d’un œil. Mais celui qui montant plus haut ne rend le mal en aucune façon, se rapproche du commandement du Seigneur et cependant n’y est pas encore. C’est peu de chose aux yeux du Sauveur que vous ne rendiez pas mal pour mal, si vous n’êtes disposé à en recevoir davantage. Il ne dit donc pas : «  Et moi je vous dis » de ne pas rendre mal pour mal ; ce qui est déjà un point important ; mais : « de ne point résister aux mauvais traitements » en sorte que non-seulement vous ne rendiez pas le mal qu’on vous a fait, mais que vous ne vous opposiez pas même à ce qu’on vous en fasse davantage. C’est en effet ce qu’il expose ensuite : « Mais si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui encore l’autre » car il ne dit pas : Si quelqu’un vous frappe, ne le frappez pas ; mais préparez-vous à recevoir de nouveaux coups. Ceux-là surtout sentiront ce qu’il y a, là, de miséricorde, lesquels servent dans leurs maladies des êtres tendrement aimés, enfants ou amis très-chers, soit encore en bas âge, soit atteints de frénésie. Ils souffrent souvent beaucoup de leur part ; mais ils sont disposés à souffrir bien davantage encore, si la santé du malade l’exige, et jusqu’à ce que la faiblesse de l’âge ou de la maladie soit passée. Et que pouvait apprendre le médecin des âmes à ceux qu’il formait à l’art de guérir le prochain, sinon à supporter avec patience les infirmités de ceux au salut desquels ils voulaient travailler ? Car tout vice provient de la faiblesse de l’âme, puisqu’il n’y a rien de plus pur que l’homme consommé en vertu.

58. On peut demander ici ce que signifie la joue droite ; car c’est ainsi qu’on lit dans les exemplaires grecs les plus dignes de foi : beaucoup de latins portent simplement la joue, sans