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l’Apôtre ne semble avoir enfreint le précepte du Seigneur, lui qui jure souvent, de cette façon, par exemple : « Je vous écris ceci, voici, devant Dieu, je ne mens pas[1] » ou encore : « Le Dieu et Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est béni dans tous les siècles, sait que je ne mens pas[2] ; » et ailleurs : « Car le Dieu que je sers en mon esprit, dans l’Évangile de son Fils, m’est témoin que sans cesse je fais mémoire de vous dans mes prières[3]. » On dira peut-être qu’on ne doit regarder comme serment que la formule où le mot par est placé devant le mot par lequel on jure ; en sorte que dire : « Dieu m’est témoin » et non : par Dieu, ne soit pas jurer. Cette opinion est ridicule. Mais pour éviter toute discussion et par égard pour les moins éclairés qui s’obstineraient à voir ici quelque différence, il est bon de savoir que l’Apôtre a employé même cette forme de serment, comme quand il a dit, par exemple : « Chaque jour je meurs, je le jure, par la gloire que je reçois de vous[4]. » Et pour qu’on ne s’imagine pas qu’il a voulu dire : Votre gloire me fait mourir, dans le sens où l’on dit : Il est devenu savant par les leçons d’un tel, c’est-à-dire les leçons d’un tel ont fait qu’il est devenu savant : les exemplaires grecs tranchent la question, car on y lit : Νὴ τὴν χαύχησιν ὐμετέραν, expressions qui ne sont usitées que pour le serment. Par là on peut comprendre que le Seigneur a défendu de jurer, pour que personne ne se porte au serment comme à une chose bonne et ne se laisse entraîner au parjure par l’habitude de jurer. Que celui donc qui sait que le serment ne doit pas être regardé comme un acte bon mais nécessaire, se modère autant que possible, et n’en use que par nécessité, quand il voit les hommes peu disposés à croire une chose qu’il leur est utile de croire, à moins qu’elle ne soit attestée par serment. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter ces paroles : « Que votre langage soit : Oui, oui ; non, non » voilà le bien, voilà ce qu’il faut désirer. « Ce qui est de plus vient du mal : » c’est-à-dire, sachez que si vous êtes obligés de jurer, cela provient de l’infirmité de ceux que vous désirez convaincre infirmité qui est certainement un mal et dont nous demandons chaque jour d’être délivrés, quand nous disons : « Délivrez-nous du mai[5]. » Aussi le Seigneur n’a-t-il point dit : de qui est de plus est mal ; car vous ne faites point de mal quand vous employez à propos le serment ; lequel, bien que n’étant pas bon, est cependant nécessaire pour persuader à un autre une vérité utile ; mais il a dit : « Vient du mal » de l’infirmité de celui à qui vous êtes forcé de jurer. Mais celui-là seul qui en a fait l’expérience sait combien il est difficile de détruire l’habitude du serment et de ne jamais faire sans raison ce que la nécessité oblige quelquefois à faire.

52. On peut demander pourquoi, à ces paroles : « Et moi je vous dis de ne jurer en aucune façon » on a ajouté celles-ci : « Ni par le ciel, parce qu’il est le trône de Dieu » et le reste, jusqu’à : « Ni par votre tête. » C’est, je pense, parce que les Juifs ne se croyaient point liés par leurs serments, quand ils avaient juré par ces choses. Comme ils avaient entendu dire : « Tu tiendras au Seigneur tes serments » ils ne croyaient point avoir fait un serment au Seigneur en jurant par le ciel ou par la terre, ou par Jérusalem, ou par leur tête : non de la faute de l’auteur de la loi, mais parce qu’ils comprenaient mal. Le Seigneur leur apprend donc qu’il n’y a rien de si vil parmi les créatures par quoi l’on puisse se parjurer ; puisque la divine Providence gouverne le monde entier du haut en bas, à partir du trône de Dieu jusqu’à un cheveu blanc ou noir. « Ni par le ciel, parce qu’il est le trône de Dieu ; ni par la terre, parce qu’elle est l’escabeau de ses pieds » c’est-à-dire quand vous jurez par le ciel ou par la terre, ne vous imaginez pas que votre serment ne vous lie pas devant le Seigneur : car il est prouvé que vous jurez par celui dont le ciel est le trône et la terre l’escabeau. « Ni par Jérusalem, parce que c’est la ville du grand roi » ce qui vaut dire que de dire ma ville, bien que ce soit là le sens. Et comme il est le Seigneur, évidemment celui qui jure par Jérusalem est lié devant le Seigneur. « Ne jurez pas non plus par votre tête. » Est-il rien qu’on puisse croire plus à soi que sa tête ? Et pourtant comment notre tête serait-elle à nous, puisque nous n’avons pas même le pouvoir de rendre un cheveu blanc ou noir ? Donc, quiconque jure même par sa tête, est lié par son serment devant le Dieu qui remplit tout d’une manière ineffable et est présent partout. Et sous ces expressions, il faut sous-entendre bien d’autres choses qui ne pouvaient s’énumérer, comme dans ce serment de l’Apôtre, dont nous parlions plus haut : « Je meurs chaque jour, je le jure, par la gloire que je reçois de vous. » Et pour montrer que ce serment remonte au

  1. Gal. 1, 20
  2. 2 Cor. 11, 31
  3. Rom. 1, 9, 10
  4. 1 Cor. 15, 31
  5. Mt. 6, 13