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passagère, limitée entre la naissance et la mort. S’il n’en est pas là, il n’aime point encore l’autre vie, celle ou disparaissent la naissance et la mort, fruits des mariages terrestres.
41. Quand donc je demande à un homme vraiment chrétien, qui a cependant une épouse et des enfants, s’il entend avoir une femme dans le royaume du ciel ; se rappelant les promesses de Dieu relatives à cette autre vie où ce corps corruptible revêtira l’incorruptibilité, et ce corps mortel l’immortalité[1] ; vivement, ou au moins quelque peu épris de ce bonheur, il me répondra avec horreur qu’il n’en a pas le moindre désir. Que je lui demande ensuite s’il désire que la femme qu’il a maintenant vive avec lui après la résurrection, quand aura eu lieu cette transformation céleste promise aux saints, il me répondra avec la même vivacité que c’est là son vœu ardent. C’est ainsi que le bon chrétien aime dans sa femme une créature de Dieu, qu’il désire voir transformée et renouvelée, et déteste en même temps l’union mortelle, le commerce charnel ; c’est-à-dire qu’il aime en elle ce qui est de l’humanité, et déteste ce qui est du sexe. C’est ainsi qu’il aime un ennemi, non en tant qu’ennemi, mais en tant qu’homme, jusqu’à lui désirer ce qu’il désire pour lui-même ; c’est-à-dire qu’il se corrige, se renouvelle et parvienne ainsi au royaume des cieux. ! Il faut en dire autant du père, de – la mère, de tous ceux à qui nous tenons par les liens du sang, en qui nous devons haïr ce qui entraîne pour tout homme la nécessité de naître et de mourir[2], et aimer ce qui peut parvenir avec nous à ce royaume où personne ne dit mon Père, mais où tous disent Notre Père ; n où personne ne dit ma mère, mais où tous disent à la Jérusalem céleste notre mère ; où personne ne dit mon frère, mais où tous disent de tous notre frère ; où le mariage consistera à nous voir tous unis en Celui qui sera, pour ainsi dire, notre époux et qui nous a rachetés par l’effusion de son sang de la prostitution de ce monde. Il faut donc que le disciple du Christ haïsse ce qui passe dans ceux qu’il désire voir arriver avec lui à ce qui ne passe pas, et, cela, d’autant plus qu’il les aime davantage.
42. Un chrétien peut donc vivre en bonne harmonie avec sa femme : soit qu’il cherche en elle une satisfaction aux besoins de la chair, ce qui est toléré, mais non commandé, dit l’Apôtre ; soit qu’il en procrée des enfants, ce qui est louable jusqu’à un certain point ; soit qu’il vive avec elle comme un frère, sans aucun commerce charnel, ayant une femme comme n’en ayant pas, ce qui est la condition la meilleure, la plus sublime dans le mariage chrétien ; mais, dans tous les cas, haïssant en elle tout ce qui tient aux besoins du temps, et y aimant l’espoir de l’éternelle béatitude. Car nous haïssons certainement ce que nous souhaitons de voir finir, comme la vie de ce monde, par exemple, que nous ne désirerions point voir éternelle, et soustraite à l’action du temps, si nous ne la haïssons comme passant avec le temps. Or c’est cette vie qu’on désigne par le mot âme dans ce passage : « Si quelqu’un ne hait point même sa propre âme, il ne peut être mon disciple[3]. » Car cette vie a besoin de la nourriture corruptible dont le Seigneur lui-même dit : « La vie n’est-elle pas plus que la nourriture ? » c’est-à-dire, cette vie à qui la nourriture est nécessaire. Et ailleurs, quand il dit qu’il donne sa vie pour ses brebis, il parle de la vie présente, puisqu’il annonce qu’il mourra pour nous.


CHAPITRE XVI. LIEN CONJUGAL.


43. Ici se présente une autre question : Quand le Seigneur permet de renvoyer une femme pour cause de fornication, dans quel sens faut-il prendre ce mot ? Est-ce, comme tout le monde l’entend, un commerce criminel ? ou faut-il l’appliquer, comme le fait souvent l’Ecriture, à toute passion coupable, comme l’idolâtrie, par exemple, ou l’avarice, ou toute autre transgression de la loi procédant d’une convoitise criminelle[4] ! Mais consultons l’Apôtre, pour ne rien avancer au hasard : « Pour ceux qui sont mariés, ce n’est pas moi, mais le Seigneur, qui commande que la femme ne se sépare point de son mari ; que si elle en est séparée, qu’elle demeure sans se marier, ou qu’elle se réconcilie avec son mari. Il peut en effet arriver qu’elle se soit séparée pour la raison que le Seigneur autorise. On s’il est permis à la femme de quitter son mari hors le cas de fornication, et que cela ne soit pas permis à l’homme ; que répondre à ce que l’Apôtre dit ensuite : « Que le mari, de même, ne quitte point sa femme ? » Pourquoi n’ajoute-t-il pas, hors le cas de fornication, où le Seigneur le permet, si ce n’

  1. 1Co. 15, 53, 54
  2. Rét.l, 1, ch, 19, 5
  3. Lc. 14, 26
  4. Rét. l. 1 ch. 19, n. 6.