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quelque contradiction dans un passage qui n’est rapporté que par un seul évangéliste et sur lequel les autres gardent le silence ? Or il est certain que saint Matthieu, saint Marc et saint Luc ont surtout envisagé dans la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ son humanité sainte. Comme homme en effet le Christ est en même temps roi et prêtre. Aussi saint Marc, qui dans le mystère des quatre animaux, semble figuré par l’image de l’homme[1], ne nous apparaît pour ainsi dire que comme le compagnon de saint Matthieu ; car il dit souvent les mêmes choses que lui, afin d’honorer la personne du Roi, qui ne marche jamais seul comme je l’ai prouvé dans, le premier livre[2] ; ou plus vraisemblablement encore il marche en compagnie de saint Matthieu et de saint Luc. Car si dans beaucoup de passages il ne fait que reproduire l’Évangile de saint Matthieu, il se rapproche de saint Luc dans un certain nombre d’autres. Ainsi se rapproche-t-il tout à la fois et du lion et du bœuf, c’est-à-dire de la personne royale dépeinte par saint Matthieu et de la personne sacerdotale dépeinte par saint Luc, et qui toutes deux se confondent en Jésus-Christ. Mais s’agit-il de la Divinité, de l’égalité de Jésus-Christ avec son Père, du Verbe qui est Dieu en Dieu, du Verbe fait chair et habitant parmi nous[3], du Verbe qui est un avec son Père[4] ? c’est surtout saint Jean qui a entrepris d’en parler. Comme un aigle hardi, il fixe ses regards sur les paroles les plus sublimes prononcées par le Christ, et rarement il descend vers la terre. Qui, mieux que lui, connaissait la mère de Jésus ? et cependant, contrairement à saint Matthieu et à saint Luc, il ne parle pas de la naissance du Sauveur, il passe sous silence son baptême raconté par les trois autres. Appliqué tout entier au témoignage rendu par le Précurseur, il s’élance d’un seul trait au récit des noces de Cana. Là il lui faut parler de la mère de Jésus, et voici de quelle manière il s’exprime : « Femme, qu’y a-t-il entre vous et moi[5] ? » Jésus ne repousse pas celle dont il a reçu son corps, mais il se préoccupe surtout de sa Divinité avant de changer l’eau en vin ; comme Dieu en effet il avait créé sa mère, il ne lui devait pas l’existence.

12. Après quelques jours passés à Capharnaüm, Jésus revient au temple et c’est là que fut prononcée cette parole, que nous rapporte saint Jean : « Détruisez ce temple et je le rebâtirai en trois jours[6]. » Il proclamait par là, non seulement que dans ce temple il était Dieu, le Verbe fait chair ; mais aussi qu’il a ressuscité cette chair, uniquement en ce sens qu’il ne fait qu’un avec son Père et qu’ils ne peuvent agir séparément. Dans tous les autres passages de l’Écriture nous lisons toujours que Dieu l’a ressuscité ; nulle part nous ne voyons rien qui annonce aussi clairement que, malgré cela, il s’est aussi ressuscité lui-même, comme étant un seul Dieu avec son Père : c’est là ce qu’exprime cette parole : « Détruisez ce temple et je le réédifierai en trois jours. »

13. Dites ensuite la grandeur, la divinité de son entretien avec Nicodème ! De là l’Évangéliste revient encore au témoignage de saint Jean et proclame que l’ami de l’époux ne goûte d’autre joie que d’entendre la voix de l’époux. C’est nous enseigner que l’âme humaine n’est à elle-même ni sa propre lumière ni son propre bonheur ; et que tout cela lui vient de sa participation à l’immuable sagesse. Vient ensuite l’histoire de la Samaritaine, avec la promesse de cette eau qui rassasiera éternellement celui qui en boira. De là, il se transporte de nouveau à Cana en Galilée, où s’était opéré le changement de l’eau en vin ; c’est là qu’il fut dit à l’officier dont le fils était malade : « Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne croyez pas[7]. » Il voulait par là élever tellement l’esprit du fidèle au-dessus des choses muables de ce monde, qu’on n’eût même plus à demander des miracles, quoiqu’ils soient le sceau de la divinité gravé sur la mobilité des corps.

14. De là Jésus revient à Jérusalem, où il guérit un malheureux, malade depuis trente-huit ans. Et à cette occasion que ne dit-il pas ! Combien ne dure pas son discours ! Écoutons Les Juifs cherchaient l’occasion de le faire mourir, parce que non-seulement il ne gardait pas le sabbat, mais parce qu’il appelait pieu son Père en se faisant son égal. » On voit clairement qu’en se proclamant le Fils de Dieu il ne le faisait pas dans le même sens que les hommes justes, il se disait égal à son Père. Aussi pour répondre à l’accusation de profaner le sabbat venait-il de dire : « Mon Père agit toujours, il en est de même de moi. » Ses ennemis entrèrent alors en fureur, non pas précisément parce qu’il appelait Dieu son Père, mais parce

  1. Apo. 4, 6,7
  2. Ci-dessus I. 1, c. III
  3. Jn. 1, 11-4
  4. Id. 10, 30
  5. Jn. 2, 1-11
  6. Jn. 2, 12-22
  7. Id. 3, 1 ; 4, 54