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est aussi rapportée par saint Marc, quoique dans des termes un peu différents. La narration de saint Luc présenterait quelque opposition, si l’on oubliait une manière de parler assez fréquente. « L’un des deux voleurs, attachés comme lui à la croix, dit saint Luc, lui adressait ces blasphèmes : Si tu es le Christ, sauve-toi, et nous aussi. Mais l’autre se mit à réprimander son complice et à lui dire : Ni toi, non plus, tu n’as donc aucune crainte de Dieu, toi qui subis la même condamnation. Et encore pour nous c’est justice, car nous n’avons que ce que nous avons mérité ; pour lui, il n’a fait aucun mal. Et il disait à Jésus : Seigneur, souvenez-vous de moi, lorsque vous serez entré dans votre royaume. Jésus lui répondit : En vérité, je te le dis, tu seras aujourd’hui avec moi dans le paradis[1]. » Saint Matthieu avait dit : « Les voleurs qui étaient crucifiés avec lui, le blasphémaient ; » saint Marc : « Et ceux qui étaient crucifiés avec lui, lui adressaient des injures ; » comment donc se peut-il que saint Luc nous dise qu’un seul des deux le blasphémait et que l’autre garda le silence et crut en lui ? Ne devons-nous pas croire que saint Matthieu et saint Marc, dans le but d’abréger le récit, emploient le pluriel pour le singulier ? Nous trouvons également, dans l’épître aux Hébreux, cette forme plurielle Ils fermèrent la gueule des lions », quand il n’est question que de Daniel ; nous y lisons également : « Ils ont été sciés[2] », quand il ne s’agit que d’Isaïe. Les paroles mises au pluriel par le psalmiste : « Les rois de la terre se sont levés et les princes se sont réunis », etc, se retrouvent au pluriel dans es Actes des Apôtres, quand l’idée exigeait le singulier ; car les rois y désignent Hérode, Pilate est désigné par le mot princes[3]. Au lieu donc de calomnier l’Évangile, que les païens se rappellent comment leurs auteurs ont fait parler les Phèdre, les Médée et les Clytemnestre, qui auraient du s’exprimer au singulier. Quoi de plus ordinaire, par exemple, que d’entendre dire. à quelqu’un : Les paysans m’insultent, quand il n’y en a qu’un pour l’insulter ? Saint Luc serait assurément en contradiction avec les autres en disant qu’un seul voleur lança des blasphèmes, si des paroles des autres auteurs on était forcé de conclure que tous deux blasphémèrent Jésus. Mais il faut remarquer que dans l’un il n’est question que des voleurs, et dans l’autre, de ceux qui étaient crucifiés avec lui, sans addition du mot : « Tous deux. » Sans doute cette formule aurait suffi dans le cas où tous deux auraient réellement blasphémé ; mais l’usage a permis aussi d’employer la forme plurielle quoiqu’un seul ait commis ce crime.

CHAPITRE XVII. DU BREUVAGE OFFERT À JÉSUS.

54. Saint Matthieu continue : « Or depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième, toute la terre fut couverte de ténèbres[4]. » Ce fait nous est également attesté par les deux autres évangélistes[5]. Saint Luc explique même la cause de ces ténèbres, c’est-à-dire que le soleil s’obscurcit. Saint Matthieu ajoute : « Vers la neuvième heure Jésus poussa un grand cri en disant : Eli, Eli, lamina, sabactani ; ce qui veut dire : Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’avez-vous abandonné ? Quelques-uns de ceux qui étaient là présents, entendant ces paroles, disaient : Voilà qu’il appelle Élie. » Saint Marc n’emploie pas exactement les mêmes mots, mais il exprime exactement la même pensée. Saint Matthieu reprend : « Et l’un deux accourant, trempa une éponge dans du vinaigre, la fixa au bout d’un roseau et lui offrait à boire. » Saint Marc s’exprime ainsi : « L’un d’entre eux accourant, remplit une éponge de vinaigre, la fixa sur un jonc et lui offrait à boire en disant : Attendons et voyons si Élie viendra le délivrer. » Ce n’est pas sur les lèvres de celui qui présentait l’éponge que saint Matthieu met ces paroles, mais sur les lèvres des assistants : « Et les autres disaient : laisse, voyons si Élie viendra le délivrer ; » de là nous pouvons conclure que tous ont tenu ce langage. Saint Luc avant de raconter les insultes du voleur rapporte cette circonstance du vinaigre : « Ils se raillaient de lui, dit-il, et les soldats s’approchant lui offrirent du vinaigre en disant : Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même[6]. » Il voulait ainsi exprimer ce qui avait été dit et fait par les soldats. Peu importe du reste qu’il n’ait pas spécifié que ce vinaigre ne lui fut offert que par un seul soldat ; nous avons vu plus haut que la coutume permettait d’employer le pluriel pour le singulier. Saint Jean parle aussi du vinaigre : «

  1. Luc. 23, 39-43
  2. Heb. 11, 33-37
  3. Psa. 2, 2 ; Act. 4, 26,27
  4. Mat. 27, 45-49
  5. Mrc. 15, 33-36 ; Luc. 23, 44-46
  6. Luc. 23, 36