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44. Mais, dira-t-on encore, ma conviction n’est pas suffisamment établie ; au sujet de cette troisième heure. En effet saint Marc nous dit bien : « Pilate répondant leur dit : Que voulez-vous donc que je fasse au roi des Juifs ? Ils s’écrièrent de nouveau : Crucifie-le ; » mais après ces paroles l’évangéliste ne met et ne suppose aucun intervalle dans sa narration, et immédiatement il arrive à la condamnation prononcée par Pilate ; « à la sixième heure », dit saint Jean. Avant de poser cette objection, on ne doit pas oublier que les évangélistes ont omis beaucoup de détails intermédiaires qui ont dû se produire pendant que Pilate cherchait, par tous les moyens possibles, à soustraire Jésus à la fureur des Juifs. Écoutons saint Matthieu : « Pilate leur dit : Que ferai-je donc de Jésus, qui est appelé le Christ ? Tous de se récrier : Qu’il soit crucifié. » Il était alors, selon nous, la troisième heure. Il continue : « Pilate voyant qu’il n’obtenait rien, et qu’au contraire le tumulte allait toujours croissant. » Il est bien facile d’admettre que pendant ces efforts tentés par Pilate pour délivrer le Sauveur et pendant le tumulte soulevé par l’insistance des Juifs, il se passa un intervalle d’environ deux heures, et que la sixième était commencée avant que Pilate eût livré le Seigneur, et que les ténèbres se fussent répandues sur la terre. Quant à ce fait raconté par saint Matthieu : « Pilate était assis sur son tribunal et voici que sa femme lui envoie dire : Ne te mêle pas des affaires de ce juste, car aujourd’hui, en songe, j’ai été violemment tourmentée à son sujet[1] », il est certain que lorsque ceci se passa, Pilate était pour la seconde fois assis sur son tribunal ; mais saint Matthieu se rappelant ce qu’il avait dit de l’épouse de Pilate, mêla cet événement à son texte, afin de montrer pourquoi le gouverneur s’obstinait à ne point livrer Jésus entre les mains des Juifs.

45. Saint Luc, après ces paroles de Pilate : « Je le corrigerai et le délivrerai », ajoute que la foule tout entière s’écria : « Fais-le disparaître et remets-nous Barabbas. » Mais peut-être que jusque-là ils n’avaient pas encore dit : « Crucifie-le. » D’après le même écrivain sacré, « Pilate leur parla de nouveau dans le but de délivrer Jésus ; mais ils criaient : Crucifie, crucifie – le. » C’était à la troisième heure. Enfin ajoute encore saint Luc : « Pilate leur parla une troisième fois et leur dit : Quel mal a-t-il donc fait ? je ne trouve en lui aucun crime qui mérite la mort ; je le corrigerai donc et le renverrai. Mais alors ils poussaient des cris plus effroyables, demandant qu’il fût crucifié, et leurs vociférations augmentaient[2]. » Cela suffit pour nous donner une idée de la grandeur du tumulte. Combien de temps s’écoula-t-il ensuite avant ces mots répétés pour la troisième fois : « Quel mal a-t-il donc fait ? » On peut le supposer aussi long que le demande la découverte de la vérité. Enfin ces instances à grands cris, ces vociférations toujours croissantes, quel motif leur donner, si ce n’est la résolution où ils voyaient Pilate de ne pas leur livrer le Sauveur ? Puisque telle était la disposition de Pilate, il est évident qu’il ne dut pas céder si promptement et que deux heures, et peut-être plus, se passèrent dans ces hésitations.

46. Interroge encore saint Jean et vois à quelles hésitations Pilate se trouvait en proie et quelle répulsion il éprouvait pour le honteux ministère qu’on voulait lui faire remplir. Quoiqu’il ne dise pas tout ce qui a dû se dire et se passer, pendant deux heures et le commencement de la sixième, cet évangéliste est beaucoup plus explicite que les autres. Ainsi Jésus nous est montré victime de la flagellation, revêtu d’un manteau dérisoire, le jouet de railleries et de moqueries infâmes, (je pense que Pilate ne permit toutes ces indignités que pour calmer la fureur des Juifs et soustraire Jésus à la mort.) Après ces détails, saint Jean continue : « Pilate sortit de nouveau et dit aux Juifs : Voici que je vous l’amène, afin que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun crime. Jésus sortit donc portant la couronne d’épines et le vêtement de pourpre. Et Pilate leur dit : Voilà l’homme ; » il espérait que son aspect ignominieux calmerait leur fureur. L’Évangile continue : « En le voyant, les pontifes et les ministres s’écrièrent : Crucifie, crucifie-le. » Nous avons dit qu’il était alors la troisième heure. Remarquez ce qui suit : « Pilate leur dit : Prenez-le vous-mêmes et le crucifiez ; car pour moi je ne le trouve coupable d’aucun crime. Les Juifs lui répondirent ; Nous avons une loi, et selon cette loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait le Fils de Dieu. En entendant cette parole, Pilate fut saisi d’une crainte plus violente ; rentrant donc de nouveau dans le prétoire il dit à Jésus : Tu ne me réponds pas ? Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te crucifier, comme aussi de te délivrer ? Jésus lui répondit : Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir, s’il ne t’avait été

  1. Mat. 27, 22-29
  2. Luc. 23, 16-23