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par là même, avant le second, avant le troisième et avant tous les autres chants du coq durant cette nuit ? Observons qu’avant le premier chant du coq, la série des reniements était commencée ; or les trois évangélistes ne se sont pas proposé de nous dire à quel moment saint Pierre compléta cet acte de lâcheté ; il leur a suffi de nous révéler l’heure avant laquelle il le commença, et le nombre de fois qu’il le renouvela. Il le renouvela trois fois et il le commença avant le chant du coq. Bien plus, il est certain que dans sa pensée il consomma son crime avant le premier chant du coq ; qu’importe alors qu’il ait commencé, avant le premier chant, sa triple négation, et qu’il ne l’ait achevée qu’avant le second chant ? Sa faute était voulue et consommée avant le premier chant du coq. Qu’importe aussi que ses négations eussent été séparées par des intervalles plus ou moins longs ? Avant le premier chant, il était tellement victime de la crainte et de la lâcheté, qu’il était disposé à renier son maître, une première, une seconde, une troisième fois si on l’interrogeait encore. Il réalisait une parole du Sauveur qui déclare que jeter, sur une femme, un regard adultère, c’est déjà avoir commis l’adultère dans son cœur[1]. Par la même raison, quand Pierre exhalait dans ses paroles cette crainte étrange, à laquelle il était en proie, et dont il subit l’influence jusqu’à une seconde et une troisième négation, on peut dire que tout son crime lui devint imputable, au moment même où il se laissa dominer par cette frayeur qui devait le faire apostasier trois fois. En admettant dès lors, que ce ne fut qu’après le premier chant du coq, que tourmenté par les questions qui lui étaient faites, il commença cette triste série de dénégations, même alors serait-il donc si absurde de dire qu’il a renié trois fois avant le chant du coq, puisque avant ce chant du coq il était déjà tout entier sous le coup de cette crainte qui devait l’amener à un triple reniement ? Or cette assertion est d’autant plus naturelle que ce reniement fut commencé réellement avant le premier chant du coq, quoiqu’il n’ait été complet qu’avant le second. Je dis à quelqu’un : cette nuit, avant que le coq chante, tu m’écriras une lettre dans laquelle tu m’insulteras trois fois. Aurai-je fait une fausse prophétie, parce que cette lettre, commencée avant le premier chant du coq, n’a été terminée qu’après ? Toute la différence présentée par saint Marc vient donc de l’énonciation formelle des intervalles qui marquèrent les protestations de l’Apôtre infidèle : « Avant que le coq ait chanté deux fois, « tu me renieras trois fois. » Du reste, quand nous serons en face du récit lui-même, nous montrerons le parfait accord des évangélistes.

8. Chercher à connaître toutes les paroles que le Seigneur adressa à Pierre, est une prétention vaine et inutile. Il suffit de connaître la pensée générale, qui fut comme le résumé de ces paroles ; et cette pensée nous est révélée dans les différents récits des évangélistes. Soit donc qu’on admette que ce fut à diverses reprises, pendant les discours du Seigneur, que Pierre ému laissa échapper cette triple et présomptueuse protestation qui provoqua la triple prophétie de son reniement, et c’est là le plus probable ; soit que l’on coordonne le récit des Évangélistes, de telle manière, qu’il en résulte que le Seigneur ne prédit qu’une seule fois à Pierre, trop présomptueux, qu’il le renierait la nuit même ; toujours est-il que l’on ne peut surprendre dans ces textes différents aucune contradiction ; et en effet il n’y en a aucune.

CHAPITRE III. DISCOURS APRÈS LA CÈNE.

9. Suivons maintenant, autant que nous le pourrons, l’ordre chronologique d’après tous les évangélistes. Après avoir rapporté la triste prédiction faite à Pierre, saint Jean nous représente le Sauveur continuant à s’entretenir avec ses apôtres et leur disant : « Que votre cœur ne se trouble point ; vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Il y a bien des demeures dans la maison de mon Père ; », etc. Le texte de ce discours sublime et magnifique va jusqu’à cet endroit où le Seigneur s’écrie : « Père juste, le monde ne vous connaît pas, mais moi je vous connais, et ceux-ci savent que vous m’avez envoyé, et je leur ai fait connaître votre nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux et que je sois aussi en eux[2]. – Or, comme le raconte saint Luc, il s’éleva entre eux une contestation sur la question de savoir lequel d’entre eux devait être considéré comme le plus grand. Mais Jésus leur dit : Les rois des nations exercent sur elles leur autorité, et ceux qui les dominent prennent le nom de bienfaiteurs. Il n’en sera pas ainsi pour vous ; il faut que le plus grand soit comme le plus petit, et celui qui est à la tête comme celui qui obéit.

  1. Mat. 5, 28
  2. Jn. 14-16