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ceux qui sont dans la Judée fuient sur les montagnes ; que celui qui sera sur le toit ne descende pas pour emporter quelque chose de sa maison, et que celui qui sera dans les champs ne revienne pas pour prendre sa tunique. » Ce sont presque les mêmes expressions en saint Marc. Saint Luc commence d’abord comme eux : « Alors, que ceux qui sont dans la Judée fuient vers les montagnes ; » mais ce qui suit est différent, car il continue ainsi : Que ceux qui sont au milieu d’elle s’en éloignent, et que ceux qui sont dans les environs n’y entrent point ; parce que ce sont là des jours de vengeance pour l’accomplissement de tout ce qui est écrit. » Il y a quelque différence entre cette phrase des uns : « Que celui qui est sur le toit ne descende pas pour emporter quelque chose de sa maison », et celle-ci : « Que ceux qui sont au milieu d’elle s’en éloignent », à moins cependant que dans le trouble subitement causé par un si grand péril, les assiégés, désignés par ces mots : « Ceux qui sont au milieu d’elle », ne soient sur le toit saisis de frayeur, cherchant à voir les maux dont ils sont menacés, et à découvrir la voie par où ils pourront s’échapper. Mais comment saint Luc peut-il dire : « Qu’ils s’en aillent », après avoir dit plus haut : « Quand vous verrez Jérusalem investie par une armée ? » Ce qui suit : « Que ceux qui sont dans les environs n’y entrent point », vient ici bien naturellement ; on peut recommander à ceux qui sont dehors de ne pas entrer en cette ville. Mais comment peut-on dire de s’éloigner à ceux qui y sont renfermés, quand l’ennemi la tient assiégée ? Ne pourrait-on dire qu’on sera au milieu d’elle », quand le danger sera si pressant, que l’on ne pourra plus se mettre en sûreté pour la vie présente ? Comme alors.l'âme doit être libre et prête au sacrifice, que le poids des inquiétudes charnelles ne doit plus l’accabler ; les deux évangélistes ont dit, pour faire connaître ce devoir, qu’elle serait : « Sur le toit. » Le mot de saint Luc : « Qu’ils s’éloignent », signifie donc : Qu’ils ne s’attachent plus aux séductions de la vie présente, mais qu’ils soient prêts à passer dans une autre. C’est ce qu’ont dit les deux autres évangélistes : « Qu’il ne descende pas pour emporter quelque chose de sa maison ; » c’est-à-dire, que la créature n’ait pour lui aucun attrait, comme s’il devait y trouver son bien ; et quand saint Luc ajoute : « Que ceux qui sont dans les environs n’y entrent point », cela veut dire : Que ceux dont le cœur a su s’en détacher, ne s’y laissent plus entraîner par aucun désir charnel. C’est la même pensée dans les autres évangélistes : « Que celui qui est dans les champs ne revienne point pour prendre sa tunique », pour retomber dans les inquiétudes dont il a été délivré.

151. Saint Matthieu dit ensuite : « Mais priez pour que votre fuite n’arrive pas en hiver, ni en un jour de sabbat. » Saint Marc cite une partie de ces paroles, omet les autres. « Priez, dit-il, pour que ces choses n’arrivent pas en hiver. » Ce passage ne se retrouve pas en saint Luc ; mais ce que lui seul ajoute ici.me paraît expliquer clairement la pensée que les autres expriment d’une manière assez obscure. « Faites donc attention à vous, dit-il, de peur que vos cœurs ne s’appesantissent dans la crapule, l’ivresse et les soins de cette vie, et que ce jour ne vienne soudainement sur vous : car comme un filet, il enveloppera tous ceux qui habitent sur la face de la terre. Veillez donc et priez en tout temps, afin que vous soyez trouvés dignes d’éviter toutes ces choses qui doivent arriver. » Voilà donc en quoi consiste cette fuite, qui d’après saint Matthieu, ne doit pas arriver en hiver ni en un jour de sabbat. Par l’hiver il faut entendre les soins de cette vie : le sabbat figure la crapule et l’ivresse. En effet ces soins, comme l’hiver, inspirent la tristesse ; la crapule et l’ivresse abrutissent le cœur `en le plongeant dans les joies impures de la chair, et ces vices honteux sont figurés par le sabbat, parce que déjà à cette époque comme aujourd’hui les Juifs avaient la pernicieuse habitude de passer ce jour dans les plaisirs profanes, et ne connaissaient pas les joies d’un sabbat spirituel. On pourrait peut-être entendre dans un autre sens la pensée exprimée en saint Matthieu et en saint Marc ; mais il faudrait donner aussi à celle de saint Luc une autre signification, pourvu qu’il n’en résulte aucune contradiction. D’ailleurs notre but n’est point d’expliquer le vrai sens des évangiles, mais de prouver qu’ils ne renferment ni erreur ni imposture. Les autres passages de ce discours qui se ressemblent en saint Matthieu et en saint Marc ne peuvent soulever aucune difficulté. Quant à ceux que l’on retrouve en saint Luc, celui-ci ne les reproduit point dans le discours où il suit le même ordre que saint Matthieu, il les rapporte ailleurs comme s’il écrivait au fur et à mesure que les faits lui reviennent à