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autre passage semblable, que d’après les règles du langage la différence des expressions n’empêche pas d’énoncer la même pensée et de conserver aux choses la même couleur. Nous pourrions commencer, par saint Matthieu, le premier des évangélistes ; mais il vaut mieux commencer par saint Jean, qui va jusqu’à nommer les disciples avec lesquels Jésus parla de son dessein. Voici comme il raconte le fait : « Jésus donc ayant levé les yeux et voyant qu’une fort grande multitude de peuple était venue à lui, dit à Philippe : Où pourrons-nous acheter assez de pains pour donner à manger à tout ce monde ? Philippe lui répondit : Quand on aurait pour deux cents deniers de pain, cela ne suffirait pas pour leur en donner à chacun un petit morceau. Un autre de ses disciples, André, frère de Simon Pierre, lui dit : Il y a ici un petit garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour tant de gens ? Jésus leur dit : Faites-les asseoir. Or il y avait en ce lieu beaucoup d’herbe ; et environ cinq mille hommes s’y assirent. Jésus prit donc les pains ; et après avoir rendu grâces, il les distribua à ceux qui étaient assis et on leur donna de même.des deux poissons autant qu’ils en voulurent. Après qu’ils furent rassasiés, il dit à ses disciples : Amassez les morceaux qui sont restés, afin que rien ne se perde. Et les ayant amassés ils emplirent douze corbeilles des morceaux qui étaient restés des cinq pains d’orge, après que tous en eurent mangé[1]. »

96. On n’a pas à rechercher ici ce qu’étaient ces pains, puisque l’Évangéliste déclare que c’étaient des pains d’orge ; quoique là dessus les trois autres gardent le silence. Il ne s’agit pas non plus d’examiner ce qu’il ne dit pas des femmes et des petits enfants, puisque selon saint Matthieu, ils étaient en dehors. des cinq mille hommes. Si l’un rapporte une chose dont l’autre a négligé de parler, y a-t-il là une difficulté ? Non, et c’est ce qui doit être maintenant hors de doute, ce qu’il faut tenir comme un principe toutes les fois que le cas se présente. Mais comment sont vrais de tout point les quatre récits dans ce qu’ils contiennent ? et n’est-il aucun détail qui les mette en contradiction les uns avec les autres ? voilà une question que nous avons à traiter. Si en effet, comme le rapporte saint Jean, Notre-Seigneur, après avoir vu la multitude, demanda à Philippe, pour le tenter, où il serait possible d’avoir des vivres pour tout ce monde ; on peut se demander comment les trois autres peuvent avoir, raison de raconter que d’abord les disciples de Jésus-Christ lui dirent de renvoyer la foule, afin que chacun pût acheter des aliments dans les lieux voisins, et que le Seigneur répondit, d’après saint Matthieu : « Il n’est pas nécessaire qu’ils y aillent ; donnez-leur à manger vous-mêmes. » Ces mots : « Il n’est pas nécessaire qu’ils y aillent », n’ont pas été reproduits par saint Marc ni par saint Luc. Et c’est ici toute la différence entre eux et saint Matthieu. Ce serait donc après cela que le Sauveur aurait jeté les yeux sur la multitude et dit à Philippe ce que nous lisons dans le seul texte de saint Jean. Quant à la réponse que celui-ci prête à Philippe, saint Marc la présente comme ayant été faite par les disciples ; pour faire entendre que cet Apôtre exprimait alors la pensée commune ; à moins que, comme il arrive très-fréquemment, les trois évangélistes n’aient employé le nombre pluriel pour le singulier. Ainsi donc, ces paroles de Philippe, dans saint Jean : « Eût-on pour deux cents deniers de pain, cela ne suffirait pas pour leur en donner à chacun un petit morceau », reviennent à celles-ci de saint Marc : « Allons acheter pour deux cents deniers de pain, et nous leur donnerons à manger. » La question de Jésus : « Combien avez-vous de pains ? » que l’on trouve encore dans saint Marc, n’a pas été rappelée par les autres ; et l’observation que fit André, selon l’évangéliste saint Jean, qu’il y avait là cinq pains et deux poissons, saint Matthieu, saint Marc et saint Luc l’attribuent aux disciples par l’emploi du nombre pluriel an lieu du nombre singulier. De plus saint Luc réunit dans une même phrase la réponse de Philippe et celle d’André. Car ces mots : « Nous n’avons que cinq pains et deux poissons », sont la réponse du dernier ; et ces autres : « A moins peut-être que nous n’allions acheter des vivres à tout ce peuple », paraissent être la réponse de Philippe, sauf les deux cents deniers, qui peuvent venir d’André. Car après avoir dit : « Il se trouve parmi nous un petit enfant qui a cinq pains et deux poissons » il ajouta : « Mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ? » ce qui, revient aux paroles : « À moins peut-être que nous n’allions acheter des vivres pour toute cette multitude. »

97. D’un pareil accord pour le fond et les

  1. Jn. 6, 6-13