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Comme la semelle ne couvre pas le pied, mais l’empêche de toucher la terre ; ainsi l’Évangile rie devait ni se cacher, ni s’appuyer sur des moyens terrestres. De même encore, s’il leur est défendu, non de porter ou d’avoir deux tuniques mais d’en être revêtus, n’était-ce pas pour les avertir de n’agir point avec dissimulation, mais toujours avec simplicité ?

76. Ainsi donc il ne faut nullement douter que le Sauveur a parlé tantôt dans le sens propre et tan tôt en termes figurés et que chacun des évangélistes a rappelé telles ou telles de ses paroles ; que quelques-unes ont été relatées par deux, par trois, ou même par les quatre, sans que néanmoins tout ce qu’a dit ou fait le Sauveur ait été écrit par eux. Si l’on pense que le Seigneur n’a pu dans un même discours employer le langage propre et le langage figuré, qu’on veuille bien considérer le reste de ses paroles ; on verra combien ce sentiment est téméraire et accuse d’ignorance. Pour ne citer qu’un exemple qui me revient à l’esprit, il faudrait donc ne prendre qu’au figuré le précepte de l’aumône et les autres qui le suivent, parce que la main gauche doit ignorer ce que fait la main droite[1].

77. Je fais, du reste, observer encore une fois, ce que le lecteur doit se rappeler constamment, pour n’avoir pas souvent besoin qu’on le luit appelle, que dans ses discours, Jésus-Christ a répété plusieurs choses qu’il avait déjà dites ailleurs. Par conséquent, si la suite du récit n’est pas la même entre deux évangélistes, on ne doit pas croire à une contradiction ; on doit comprendre au contraire qu’il s’agit d’instructions données et répétées dans plusieurs circonstances. Cette observation regarde non-seulement les discours, mais encore les actions du Sauveur ; car rien n’empêche d’admettre qu’un même fait se soit produit deux fois ; et il y aurait une vanité sacrilège à calomnier l’Évangile en refusant d’admettre la réitération d’un acte, quand personne ne prouve qu’il n’a pu se reproduire.


CHAPITRE XXXI. DISCIPLES DE JEAN-BAPTISTE ENVOYÉS A JÉSUS.

78. Saint Matthieu continue ainsi sols récit Après que Jésus eut achevé les instructions qu’il donnait à ses douze disciples, dit-il, il partit de là pour aller enseigner et prêcher dans leurs villes. Or Jean ayant appris, dans la prison, les œuvres de Jésus-Christ, envoya deux de ses disciples lui dire : Êtes-vous celui qui doit venir, ou est-ce un autre que nous attendons ? » et le reste, jusqu’à l’endroit où nous lisons : « Mais la sagesse a été justifiée par ses enfants[2]. » Nous trouvons dans saint Luc tout ce passage relatif à Jean-Baptiste, aux deux disciples qu’il envoya à Jésus, à la réponse que reçurent ces envoyés et ce que dit le Sauveur après leur retour au sujet de Jean[3]. Ce n’est pas pourtant dans le même ordre, et l’on ne voit pas lequel des deux garde ici l’ordre des événements, lequel s’attache à l’ordre de ses souvenirs.

CHAPITRE XXXII. MENACES ADRESSÉES A PLUSIEURS CITÉS.

79. Saint Matthieu dit ensuite : « Alors il commenta à reprocher aux villes où il avait opéré plusieurs de ses miracles, de n’avoir point fait pénitence », et le reste, jusqu’aux mots : « Le pays de Sodome sera traité moins rigoureusement que toi au jour du jugement[4]. » Saint Luc rappelle ces reproches dans la suite d’un discours prononcé par le Sauveur[5] ; ce qui fait croire qu’il retrace plus probablement les paroles de Jésus-Christ suivant l’ordre où elles ont été dites, et que saint Matthieu écrit, ici, suivant l’ordre de ses souvenirs. Estime-t-on que, dans ce texte de saint Matthieu : « Alors Jésus commença à faire des reproches aux villes », le terme « alors », doit s’entendre d’un moment précis et non du temps plus long durant lequel s’étaient faites ou dites plusieurs autres choses ? On est obligé de croire que les mêmes reproches ont été adressés deux fois. Aussi bien, puisque nous voyons dans un même évangéliste certaines choses dites deux fois par le Seigneur : comme dans saint Luc, la prescription relative au sac et à tous les objets que les Apôtres ne devaient point porter en chemin[6]; faut-il s’étonner qu’une autre pensée pareillement exprimée deux fois, se trouve à sa place dans les récits des deux évangélistes ? car si l’ordre parait différent, c’est que chacun des écrivains sacrés la rapporte au moment différent où elle a été énoncée.

  1. Mat. 6, 3
  2. Mat. 11, 1-19
  3. Luc. 7, 18-35
  4. Mat. 11, 20-24
  5. Luc. 10, 2-15
  6. Id. 9, 3 ; 10, 4