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fixer toujours l’ordre de ses souvenirs à l’égard même de ce qu’il tonnait le mieux ; car une chose ne revient pas plus tôt ou plus tarda l’esprit selon la volonté de l’homme, mais suivant l’inspiration qu’il reçoit. Il est donc assez probable que chacun des évangélistes a cru devoir écrire les faits à mesure qu’il plaisait à Dieu de les lui remettre en mémoire ; ce qu’il faut entendre uniquement des faits dont l’ordre, quel qu’il soit, ne nuit en rien à l’autorité ni à la vérité de l’Évangile.

52. Pourquoi l’Esprit-Saint, qui distribue à chacun ses dons comme il veut[1], qui par conséquent et sans aucun doute, gouverne et dirige aussi l’intelligence et les souvenirs des auteurs sacrés dans la rédaction de Livres destinés à jouir d’une si haute autorité, a-t-il permis que l’un ordonnât son récit. de telle manière et l’autre de telle autre ? Quiconque en recherchera la raison avec attention et piété, pourra la trouver moyennant l’aide de, Dieu. Cette question cependant est étrangère au plan. d’un ouvrage où nous nous proposons seulement de montrer que chaque évangéliste n’est en contradiction ni avec lui-même ni avec les autres, quel que soit l’ordre que chacun ait pu ou voulu suivre en rapportant les mêmes actes et les mêmes paroles, ou des paroles et des actes différents. Ainsi donc, quand la suite des temps n’est point marquée, nous ne devons pas nous préoccuper de l’ordre suivant lequel un évangéliste a disposé son récit : dans le cas contraire, si quelque chose parait le mettre en opposition avec lui-même ou avec un autre, alors il faut examiner et résoudre la difficulté.

CHAPITRE XXII. AUTRES GUÉRISONS.

53. Saint Matthieu poursuit en ces termes : « Or, le soir étant venu, on lui présenta plusieurs possédés, et d’une parole il chassait les démons ; et il guérit tous ceux qui étaient malades ; de sorte que s’accomplit cet oracle du prophète : Isaïe : Lui-même a pris nos infirmités et il s’est chargé de nos langueurs[2]. » Quand il dit : « Le soir étant venu », l’évangéliste montre assez clairement que les choses dont il parle ont eu lieu le même jour que la guérison dont il vient de parler. Saint Marc également, après avoir dit de la belle-mère de Pierre, guérie par le Sauveur, qu’elle se mit à les servir », continue ainsi Le soir venu, lorsque le soleil fut couché, on lui amena tous les malades et tous les possédés ; « et toute la ville était assemblée à la porte ; et il guérit beaucoup de malades affligés de diverses infirmités, et il chassait beaucoup de démons, mais il ne leur permettait pas de parler, parce qu’ils le connaissaient. Et s’étant levé de grand matin, il sortit et s’en alla dans un lieu désert[3]. Comme après avoir dit : « Le soir venu », il ajoute Et s’étant levé de grand mâtin », saint Marc parait avoir en cet endroit gardé l’ordre chronologique. Sans doute il n’est pas nécessaire, lorsqu’il est parlé du soir, d’entendre le soir du même jour ; ni, lorsqu’il est parlé du matin, d’entendre le matin de la même nuit : cependant l’ordre chronologique peut avoir été conservé ici, puisque l’évangéliste a soin de le marquer. Saint Luc de son côté, après avoir écrit ce qui regarde la belle-mère de Pierre ne dit pas : « Le soir venu ; » mais, ce qui exprime la même idée : « Quand le soleil fut couché, tous ceux qui avaient des malades atteints de diverses infirmités, les lui amenèrent, et imposant les mains sur chacun de ces malades, il les guérissait. Les démons sortaient aussi de plusieurs, criant et disant : Vous êtes le Fils de Dieu. Mais il les menaçait et, les empêchait de dire qu’ils le reconnaissaient pour le Christ. Lorsque le jour fut venu, il sortit et s’en alla dans un lieu désert[4]. » L’ordre des temps est présenté tout à fait de la même manière que dans saint Marc. Quant à saint Matthieu, qui semble avoir raconté la guérison de la belle-mère de Pierre, non dans l’ordre où le fait a eu lieu, mais suivant l’ordre de ses souvenirs et comme une chose d’abord oubliée ; après le récit des événements qui ont encore signalé le soir du même jour, il ne parle pas du matin suivant, mais sa narration continue ainsi : « Jésus se voyant environné d’une grande multitude de peuple, commanda de passer à l’autre bord du lac. » Ce n’est plus ce que nous offrent après les mêmes détails le texte de saint Luc et celui de saint Marc, où est exprimée cette succession du soir et du matin. Quand donc saint Matthieu dit : « Jésus se voyant entouré d’une grande multitude de peuple, commanda de passer à l’autre bord du lac ; » nous devons entendre que c’est encore un autre fait dont le souvenir lui revient et qui s’est accompli un jour quelconque.

  1. 1Co. 12, 11
  2. Mat. 8, 16-18
  3. Mrc. 1, 31-35
  4. Luc. 4, 40-42