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« Jésus étant descendu de la montagne une grande multitude de peuple le suivit. Et voilà qu’un lépreux, venant à lui, l’adorait en disant : Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir », et le reste[1].

44. Saint Luc a parlé aussi de ce lépreux[2], non pas au même endroit, mais suivant l’usage des évangélistes d’exposer certains faits après les avoir d’abord omis, ou d’anticiper le récit de faits postérieurs, selon le mouvement de l’inspiration divine qui les portait à n’écrire qu’ensuite en se le rappelant à la mémoire, ce qui pourtant leur était bien connu : néanmoins le même saint Luc rapporte aussi du divin maître un long discours qui débute comme celui que nous donne saint Matthieu. Car dans ce dernier nous lisons : « Bienheureux les pauvres en esprit, parce que le royaume des cieux est à eux : » et dans l’autre : « Vous êtes bienheureux, pauvres, parce que le royaume des cieux est à vous. » Le texte de saint Luc présente ensuite beaucoup d’autres ressemblances, et à la fin du discours la conclusion est toute pareille ; c’est de part et d’autre la comparaison prise de l’homme sage qui bâtit sur la pierre ferme, et de l’insensé qui bâtit sur le sable. Toute la différence est que dans saint Luc, il n’est parlé que du fleuve qui vient se précipiter contre la maison, tandis que le récit de saint Matthieu y joint les vents et la pluie. On pourrait donc très-facilement admettre qu’il s’agit d’un seul et même discours dans les deux évangélistes ; que saint Luc a laissé de côté certaines pensées rendues par saint Matthieu ; qu’il en a reproduit d’autres, omises par lui, et qu’il en a aussi présenté plusieurs dont il exprime semblablement tout le sens et toute la vérité, quelle que soit la différence des termes.

45. On pourrait, dis-je, admettre cela très-facilement, si ce n’était que, d’après saint Matthieu, le Seigneur parle assis sur une montagne, et que d’après saint Luc c’est debout et dans une plaine. Cette diversité porte donc à penser que, le discours rapporté par l’un, n’est pas le discours rapporté par l’autre. Et pourquoi aussi bien Jésus-Christ n’aurait-il pas répété ailleurs ce qu’il avait déjà dit, ou fait de nouveau certaines choses qu’il avait déjà faites auparavant ? Du reste, entre ces deux discours dont l’un est reproduit par saint Matthieu et l’autre par saint Luc, il n’a pas dû s’écouler beaucoup de temps ; car avant et après les deux évangélistes rapportent des choses semblables ou parfaitement identiques ; et l’on peut avec raison penser que leurs récits regardent les mêmes jours et les mêmes lieux. Voici, en effet, ce que nous lisons dans saint Matthieu : « Et une grande multitude de peuple le suivit de la Galilée, de la Décapote, de Jérusalem, de la Judée, et d’au-delà du Jourdain. Or, voyant cette foule, Jésus gagna le haut d’une montagne ; et lorsqu’il s’y fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui ; et ouvrant la bouche, il les instruisait en disant. Bienheureux les pauvres en esprit, parce que le royaume des cieux est à eux », et le reste[3]. On peut croire ici que Jésus voulut échapper à la presse de la multitude ; et qu’alors il gagna le haut de la montagne, pour s’éloigner de la foule afin de parler à ses seuls disciples. C’est ce que semble aussi confirmer la narration de saint Luc. « En ce temps-là, dit-il, Jésus alla sur une montagne, pour y prier, et il y passa toute la nuit en prière. Quand le jour fut venu, il appela ses disciples et choisit douze d’entre eux qu’il nomma Apôtres, savoir : Simon auquel il donna le nom de Pierre, André, son frère, Jacques et Jean, Philippe et Barthélemy, Matthieu et Thomas, Jacques fils d’Alphée et Simon appelé le zélé, Jude frère de Jacques et Judas Iscarioth, qui fut le traître. Il descendit ensuite avec eux et s’arrêta dans une plaine où il se vit environné de la troupe de ses disciples et d’une grande multitude de peuple, accouru de toute la Judée, de Jérusalem, du pays maritime, de Tyr et de Sidon, pour l’entendre et pour être guéris de leurs maladies. Ceux d’entre eux qui étaient possédés d’esprits impurs étaient aussi guéris. Or tout le peuple tâchait de le toucher, parce qu’il sortait de lui une vertu qui les guérissait tous. Alors levant les yeux sur ses disciples, Jésus dit : Vous êtes bienheureux, pauvres, parce que le royaume des cieux est à vous[4]. » On peut donc croire que quand Jésus, sur la montagne, eut choisi parmi tous ses disciples, les douze Apôtres, détail omis par saint Matthieu, il y prononça le discours que cet évangéliste a reproduit et dont saint Luc ne parle pas ; qu’ensuite, étant descendu dans la plaine, il fit un autre discours semblable, dont saint Matthieu ne dit rien, mais dont parle saint Luc : et qu’il les termina tous deux de la même manière.

  1. Mat. 8, 1-2
  2. Luc. 5, 12,13
  3. Mat. 4, 26 ; 7, 29
  4. Luc. 6, 12-49