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CHAPITRE IV. SUR LE NOMBRE DES ANCÊTRES DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MATTHIEU ET SELON SAINT LUC.

8. On a fait cependant la remarque subtile que saint Matthieu, dont le travail avait pour but de montrer la royauté de Jésus-Christ, a nommé, outre Jésus-Christ lui-même, quarante hommes en exposant la suite des générations. Avouons qu’il fallait un lecteur bien attentif et bien appliqué pour observer ce détail dont nous devons maintenant nous occuper et que nous essaierons de faire comprendre. Le nombre quarante signifie le temps présent, durant lequel il nous faut être ici-bas gouvernés par Jésus-Christ, suivant la règle d’une discipline rigoureuse ; discipline dont parle saint Paul quand il dit que Dieu flagelle tous ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants[1] », et que, pour entrer dans le royaume du ciel, nous devons suivre la voie des tribulations[2] ; discipline que désigne aussi cette verge de fer dont parle ainsi le Psaume : « Vous les gouvernerez avec une verge de fer », après avoir dit : « Pour moi, il m’a établi Roi sur Sion, sa montagne sainte. » Et en effet l’usage de cette verge est appliqué au gouvernement des bons eux-mêmes, car il est dit à leur sujet : « Voici l’heure où le jugement doit commencer par la maison de Dieu : et s’il commence par nous, quelle sera la fin de ceux qui ne croient pas à l’Évangile de Dieu ? et si le juste est à peine sauvé, où seront le pécheur et l’impie[3] ? » C’est du pécheur et de l’impie qu’il s’agit dans les paroles suivantes du Psaume : « Vous les briserez comme un vase d’argile[4]. » Ainsi la même règle qui sert à conduire les justes a pour effet de briser les méchants. Or ; il est également parlé des uns et des autres à raison de la communauté de foi et de sacrements qui les unit sur la terre.

9. Que le nombre quarante soit le symbole du temps de peine et de travail pendant lequel nous avons à combattre contre le démon sous le sceptre de Jésus-Christ, c’est ce que déclarent même la Loi et les Prophètes en exprimant l’humiliation de l’âme par un jeûne de quarante jours dans la personne de Moise et d’Élie[5]. C’est ce que nous déclare aussi l’Évangile, par le jeûne du Seigneur lui-même, qui, durant les quarante jours où il se priva de nourriture, fut encore tenté du démon[6] : et sans aucun doute, il voulait, par là, nous présenter dans la chair mortelle qu’il a daigné prendre de nous, l’image de la tentation à laquelle nous sommes assujettis tout le temps de cette vie. De plus, le divin maître après sa résurrection, ne voulut demeurer visiblement avec ses disciples sur la terre que l’espace de quarante jours[7]. Il continua, durant cet intervalle, à paraître dans leur société, à partager leur existence, à prendre avec eux les aliments de la vie mortelle, quoique déjà la mort n’eût plus d’empire sur lui : afin de faire comprendre, par ces quarante jours, qu’il accomplirait au moyen d’une présence invisible, ce qu’il avait promis en disant : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation du siècle[8]. » Mais pour nous persuader que le nombre quarante est le symbole de cette vie temporelle et terrestre, la raison qui se présente tout d’abord, quoique peut-être il y en ait une autre plus profonde, c’est que le temps qui forme nos années court dans quatre saisons différentes et que le monde lui-même a quatre côtés dont l’Écriture fait quelquefois mention sous les noms des quatre vents : l’Orient, l’Occident, l’Aquilon et le Midi[9]. Or dans quarante il y a quatre fois dix ; et la série des dizaines est terminée quand le nombre s’en élève de une à quatre.

10. Donc, comme l’Évangéliste saint Matthieu avait pour but de nous montrer le Christ Roi qui vécut en ce monde et partagea la vie terrestre et mortelle des hommes afin de nous gouverner au milieu des peinés et du travail de la tentation, il a nommé quarante hommes en commentant par Abraham. C’est, en effet, de la nation des Hébreux que le Christ est venu selon la chair ; de cette nation que Dieu avait distinguée des autres en éloignant Abraham de son pays et de sa parenté[10] ; afin que la désignation du peuple d’où le Messie devait sortir, précisât davantage les oracles et les prophéties dont il était l’objet. Après avoir exposé la suite de quarante générations et nommé le Sauveur, saint Matthieu se résume, il est vrai, en disant que d’Abraham à David il y a quatorze générations ; de David jusqu’à l’époque de la transmigration des Juifs à Babylone, encore quatorze, et enfin le même nombre depuis cette époque, jusqu’à la naissance de Jésus-Christ[11] mais alors il n’additionne pas les trois séries pour dire que toutes les générations sont au nombre

  1. Heb. 12, 6
  2. Act. 14, 21
  3. 1Pi. 4, 17-18
  4. Psa. 2, 9
  5. Exo. 34, 28 ; 1Ro. 19, 8
  6. Mat. 4, 1,2
  7. Act. 1, 3
  8. Mat. 28, 20
  9. Zac. 14, 4
  10. Gen. 12, 1-2
  11. Mat. 1, 17