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lui comme les œufs laissés à terre, il n’en a aucun souci, et reste insensible à la perte de ce qu’il a oublié.
16. « Elle se montre dure envers ses petits, comme s’ils n’étaient pas les siens. » Si, au lieu de ces espérances, désignées par les œufs, il possède la réalité figurée par les petits éclos ; c’est-à-dire si la prospérité temporelle lui arrive, il méprise courageusement et repousse cette prétendue félicité, ne voulant pour lui que la véritable. « Et rends son travail inutile, sans aucune inquiétude. » Ceci a lieu avant sa conversion : alors il travaille avec l’espérance du siècle, sans rien recueillir, et ce qui est plus insensé encore, sans rien craindre, en se promettant l’incertain.
17. « Parce que Dieu lui a refusé la sagesse « et ne lui a pas donné l’intelligence. » Quoi de plus insensé que de mettre sa confiance dans la vanité et de travailler a acquérir des biens périssables, sans craindre de les perdre ? Tel est cependant le vice de beaucoup d’hommes habitués aux faveurs de la fortune, surtout si cette prospérité remonte à plusieurs générations : il leur paraît impossible d’arriver subitement à la misère. Ils occupent un rang distingué dans le monde ; mais comme ils ne peuvent aller sur les ailes de leurs vertus converser dans le ciel, on ne saurait même les comparer qu’à l’autruche ; mais notez ce qui suit
18. « Au temps marqué, elle s’élèvera dans les airs, et se rira du cheval et de son cavalier. » Quand viendra la plénitude des temps [1], où il sera ordonné aux riches de n’être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance en des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant[2], ils élèveront leur cœur au Seigneur, dédaigneront les tyrans superbes que Dieu aura précipités dans la mer. Alors les plumes de l’autruche se mêleront, en s’élevant vers le ciel, à celles des oiseaux plus agiles, et tout ce qui est dit de cet animal aura son accomplissement.
19. « As-tu donné la force au cheval ? » On dirait ici le portrait du martyr, intrépide et ardent témoin de la foi qui nous sauve : sa force pourtant ne vient point de lui, c’est le Seigneur qui l’en a revêtu. « Lui as-tu appris à pousser ses hennissements ? » Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu, afin de vous défendre au jour mauvais[3].
20. « L’audace est la gloire de son poitrail », L’audace qui faisait parler et agir Isaïe[4]. Notre gloire, c’est notre, conscience[5], quand elle trouve bonnes nos actions, afin que chacun ait de quoi se glorifier en lui-même et non dans un autre[6].
21. « Il s’avance avec orgueil dans la plaine. » Il marche au flambeau de la liberté ; tressaillant de joie, parce que tes voies larges de la charité lui ont rendu le bien facile à accomplir. « Il marche plein de courage au combat. » Contre les épreuves de l’adversité,
22. « Il affronte les traits de l’ennemi. » Parmi ses armes est le bouclier de la foi, où viennent s’éteindre tous les traits enflammés de l’ennemi[7]. « Et n’évite point le glaive. » Ou la mort visible elle-même, ou bien ces hommes opiniâtres à repousser la vérité, ardents à la persécuter. Il ne s’en détourne point, parce qu’il lui est ordonne de les aimer.
23. « Sur lui l’arc et l’épée sont dans la joie. » Sa profession de foi annonce les châtiments encore invisibles dont Dieu menace de loin le pécheur ; elle rend témoignage à la parole qui de près renverse toutes les erreurs. Il y a donc ici deux idées bien distinctes : la menace qui découvre dans l’avenir les châtiments du pécheur, c’est le trait que l’arc lance au loin ; la parole qui dompte les passions du moment, c’est le glaive avec lequel on repousse de la main. « Effrayés à l’aspect de la lance et du javelot. » Comment se fait-il qu’effrayés par la lance et le javelot, l’arc et le glaive soient dans la joie ? N’est-ce point parce que, s’il ne tremble, s’il ne redoute la mort éternelle dont frappe la justice divine, le martyr ne pourra affronter celle dont il est menacé par le tyran, ni confesser hardiment sa foi, ni prêcher avec confiance les vérités auxquelles ne pourront résister les ennemis ? C’est ainsi que la parole de Dieu en lui se réjouit ; il la publie en toute liberté, et pour annoncer aux impies la triste fin dont ils sont menacés, et pour condamner leurs iniquités présentes. Si les joies de l’espérance ne s’unissaient point en nous aux craintes de la damnation, elles dégénéreraient bientôt en une coupable sécurité, en une présomption téméraire, et il ne nous serait point dit par le Psalmiste : « Réjouissez-vous en lui avec tremblement[8]. » Il s’indigne contre lui-même ; il veut détruire les ardeurs de la concupiscence, et

  1. Gal. 6, 4
  2. 1Ti. 15, 17
  3. Eph. 6,11
  4. Isa. 65, 1 ; Rom. 10, 20
  5. 2Co. 1, 12
  6. Gal. 6, 4
  7. Eph. 6, 16
  8. Psa. 2, 11