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de la Cité de Dieu[1]. Si par une erreur humaine, Jephté a pensé devoir vouer un sacrifice humain, sa faute a été justement punie dans la personne de sa fille unique ; lui-même nous le montre suffisamment quand il déchire ses vêtements et s’écrie : « Malheureux que je suis ! hélas ! Ma fille, vous êtes devenue un piège pour moi ; votre présence à mes yeux fait mon malheur. » Son erreur toutefois eut un certain mérite de foi religieuse : ce fut la crainte de Dieu qui lui fit accomplir son vœu, et ne lui permit pas de se soustraire à l’arrêt que la justice divine avait porté contre lui, soit qu’il espérât que Dieu empêcherait son sacrifice comme celui d’Abraham ; soit qu’il fût résolu d’obéir à la volonté divine, au lieu de la mépriser, si elle se manifestait, en n’arrêtant pas son bras.
15. On peut, il est vrai, demander avec raison, s’il n’est pas plus vraisemblable que Dieu ne voulait point un pareil sacrifice, et si on ne lui aurait pas mieux obéi en ne l’offrant point, après qu’il avait manifesté sa volonté à cet égard et dans le sacrifice d’Isaac, et dans la défense formelle de la Loi. Mais si Jephté n’avait pas immolé sa fille unique, il aurait plutôt paru s’épargner lui-même, que suivre la volonté de Dieu. Sa fille venant à sa rencontre, il reconnut dans ce fait la main d’un Dieu vengeur, et se soumit avec fidélité à un juste châtiment, craignant d’en encourir un plus rigoureux, s’il essayait de l’éluder. Il croyait aussi que sa fille étant vertueuse et vierge, son immolation serait agréée, parce qu’elle ne s’était point vouée elle-même pour être immolée, mais qu’elle s’était soumise au vœu et à la volonté de son père, et qu’elle avait obéi au jugement de Dieu. Car s’il n’est permis à personne de se donner la mort à soi-même, ou de la donner à autrui de son propre mouvement ; quand Dieu l’envoie, Dieu qui a voulu nous y soumettre tous, il ne faut pas la refuser. Quiconque d’ailleurs se défend contre elle, travaille à la retarder, non à l’éviter absolument. Mais je me hâte ; ce que j’ai dit me paraît suffisant sur le point de cette question que j’ai discuté dans tous les sens.
16. Recherchons maintenant avec l’aide de Dieu, et considérons brièvement ce que l’Esprit du Seigneur a prophétiquement figuré dans cet événement, soit que Jephté ait connu ce mystère, soit qu’il l’ait ignoré, soit qu’il ait agi par témérité, ou par obéissance, avec offense de Dieu, ou avec foi. Dans cet endroit des Saintes Écritures nous sommes excités et comme pressés de reporter notre pensée sur quelque personnage d’une grande puissance. Tel est Jephté, dont le nom signifie : Celui qui ouvre. Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme l’indique l’Évangile, « ouvrit le sens » à ses disciples, « afin qu’ils comprissent les Écritures[2]. » Jephté fut rejeté par ses frères qui le chassèrent de la maison paternelle, lui reprochant d’être le fils d’une concubine, tandis qu’ils étaient, eux, les enfants de l’épouse légitime. Ainsi agirent contre Notre-Seigneur les princes des prêtres, les Scribes, et les Pharisiens qui se glorifiaient de l’observance de la Loi, tandis que Notre-Seigneur aurait violé la Loi, et n’aurait point été, par conséquent, un fils légitime. Il est né sans doute de la Sainte Vierge, les fidèles ne l’ignorent pas ; comme membre de la nation cependant, on peut dire que la synagogue Judaïque est sa mère. Que l’on parcoure les livres Prophétiques, et l’on verra combien de fois, et en quels termes sévères et indignés, le Seigneur reproche à cette nation, comme à une femme impudique, ses fornications. Nous venons de le voir dans ce livre même, soit quand il est dit qu’Israël s’est livré à la fornication, après que Gédéon eut fait un éphod, soit quand il est dit qu’ils suivirent les dieux des nations qui les entouraient. C’est pour cela que la colère divine s’est allumée contre eux, et que pendant dix-huit ans ils ont été écrasés par les enfants d’Ammon[3]. Mais n’étaient-ils pas eux-mêmes de cette nation d’Israël, ces prêtres, ces Scribes, ces Pharisiens figurés, disions-nous, dans ceux qui chassèrent Jephté et le persécutèrent comme enfant illégitime ; ce qu’ils firent, eux aussi, contre Notre-Seigneur Jésus-Christ. La vérité de la figure consiste en ce que les Pharisiens ont cru chasser justement, eux les observateurs de la Loi, Celui qui paraissait ne point observer la Loi, comme les enfants légitimes chassent un enfant illégitime. La fornication dont le peuple d’Israël est accusé consistait, en effet, à ne point observer les préceptes de la Loi, et à violer la fidélité promise à Dieu comme à un époux.
17. Il est écrit de Jephté : « Et les fils de l’épouse grandirent et ils chassèrent Jephté. » Cette parole : « grandirent » signifie au sens figuré prévalurent : elle reçut son accomplissement en la personne des Juifs qui prévalurent sur l’infirmité du Christ lui-même le voulant

  1. Cité de Dieu, l. 1, ch. 21.
  2. Luc. 24, 45, 27
  3. Jug. 8, 27 ; 10, 6-8