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le comprendre, de sa miséricorde, de son admirable Providence.
12. Si quelqu’un dit que Gédeon, en tout ceci, a parlé et agi avec une pleine science, par une révélation prophétique, comme instrument de la manifestation des signes de l’avenir, que sa foi n’a point défailli, qu’il a cru à ce que le Seigneur lui avait promis déjà, que l’épreuve de la toison était pour lui une action prophétique, exempte de faute, par la même, comme le stratagème de Jacob[1] ; qu’en disant à Dieu : « Que votre indignation ne s’allume pas contre moi » il n’était point dominé par la crainte de la colère divine, mais rempli de la confiance que le Seigneur ne s’irriterait point, sentant qu’il agissait comme prophète sous l’inspiration de son Esprit ; je ne m’y oppose pas. Mais, quant au fait de l’éphod que l’Écriture elle-même a condamné, qu’on n’entreprenne pas, quelle qu’en soit la signification mystérieuse, de l’excuser de péché. Lorsque, par son ordre, trois-cents hommes, (ce nombre même est un signe symbolique de la croix,) prirent des vases d’argile, dans lesquels des torches ardentes furent renfermées, et qu’ayant tout-à-coup brisé ces vases, la lumière brillante de tous ces flambeaux jeta l’épouvante dans la multitude innombrable des ennemis[2], Gédéon parait avoir agi de son propre mouvement, car l’Écriture ne dit point que le Seigneur le lui ait conseillé. Cependant cette action était grandement prophétique ; qui en avait inspiré le dessein à Gédéon, si ce n’est Dieu ? Dieu figurait à l’avance ses saints qui porteraient le trésor de la lumière évangélique dans des vases d’argile, selon cette parole de l’Apôtre« Nous portons ce trésor dans des vases d’argile[3]. » Ces vaisseaux étant brisés par le martyre, leur gloire parut avec plus d’éclat, et par eux la lumière soudaine de Jésus-Christ vainquit les adversaires impies de la prédication de l’Évangile.
13. L’Esprit du Seigneur, dans les temps prophétiques, symbolisa donc et prédit les choses futures, soit par des hommes qui connaissaient ses desseins, soit par des hommes qui les ignoraient. Les fautes commises par ces hommes n’en étaient pas moins des fautes, quoique Dieu, qui de nos maux sait tirer le bien, s’en fût servi pour signifier ce qu’il voulait. Si le sacrifice d’une victime humaine quelconque, ou même d’un enfant par son père, si un tel sacrifice voué ou accompli n’était point un péché parce qu’il aurait une haute signification spirituelle, ce serait en vain que Dieu aurait défendu de pareilles offrandes et témoigné l’horreur qu’il en éprouve ; car les sacrifices qu’il a ordonnés ont aussi assûrement une signification spirituelle et figurent de grands mystères. Pourquoi donc ceux-là seraient-ils interdits, quand la même signification spirituelle qui autorise ceux-ci pourrait également rendre les autres légitimes ? Pourquoi ? Sinon parce que les sacrifices humains, fussent-ils figuré de ce qu’il convient de croire, déplaisent à Dieu, quand l’homme est immolé pour l’homme comme une hostie de choix, ainsi qu’on immole les animaux, quand ce ne sont pas des ennemis qui mettent à mort l’homme juste pour le punir de ce qu’il veut vivre suivant la, justice ; ou refuse de pécher.
14. On dira que les victimes d’animaux étant d’un lisage quotidien, les hommes spirituels en comprenaient, sans doute, la signification mystique, mais que la coutume rendait les esprits moins attentifs à la recherche du grand mystère du Christ et de l’Église ; et que Dieu pour réveiller par quelque chose d’extraordinaire et d’imprévu, les âmes endormies, voulut qu’un sacrifice humain lui fût offert, précisément parce qu’il avait jusque-là défendu ces sortes de sacrifices ; de la sorte, l’étonnement devait faire naître une grande question, laquelle provoquerait les âmes religieuses à sonder avec zèle un grand mystère : enfin l’esprit humain, scrutant les mystères de la prophétie, tirerait des profondeurs de l’Écriture, comme du fond de la mer, avec l’hameçon, le poisson divin, Jésus-Christ Notre-Seigneur. À ces raisons, à ces considérations, nous n’objecterons rien. Mais autre est la question de la conscience de l’homme qui fit ce vœu, autre celle de la Providence de Dieu tirant de cet acte humain, quelle qu’en soit la valeur morale, un bien de premier ordre. Si l’Esprit du Seigneur qui fut sur Jephté, lui prescrivit absolument ce vœu, ce que l’Écriture ne nous dit pas ; si Celui-là dont il n’est pas permis de mépriser les ordres, en fit un commandement, il n’y a plus alors un acte de folie à flétrir, mais un acte d’obéissance à louer. Que l’homme attente même sur sa vie ; s’il agit de sa propre autorité, par inspiration personnelle, c’est un crime ; mais s’il a reçu un ordre de Dieu, cet homme obéit, il n’est plus criminel. Nous avons suffisamment discuté cette question au premier livre

  1. Gen. 27, 15,16
  2. Jug. 7, 16-22
  3. 2Co. 4, 7