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fortifia Gédéon [1] ; » et cependant nous ne pouvons pas l’approuver et même nous devons le blâmer sans hésitation, puisque l’Écriture s’explique très-ouvertement là-dessus, d’avoir fabriqué, avec l’or du butin un éphod qui fit tomber Israël dans la fornication de l’idolâtrie, et qui devint un scandale pour sa maison[2]. On ne fait point injure pour cela au Saint-Esprit qui lui donna la force de dompter si facilement les ennemis de son peuple. Pourquoi donc est-il mis au rang de ceux « qui, par la foi ont dompté les royaumes, opérant la justice » sinon, parce que l’Écriture sainte en donnant à la foi et a la justice de certains hommes des éloges mérités, n’a point pour cela perdu le droit de signaler également leurs fautes avec vérité, si elle en reconnaît quelques-unes, et qu’elle croie nécessaire de les signaler ? Je ne sais pas, en effet, si ce même Gédéon en demandant un prodige, quand il fit, selon ses propres paroles, l’épreuve de la toison[3], ne pécha, point, contre le précepte : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu[4] ; » cependant, même dans cette tentative, le Seigneur découvrit des mystères qu’il voulait faire connaître à l’avance, ainsi, la toison mouillée, quand l’aire était entièrement sèche à l’entour, figurait l’ancien peuple d’Israël où étaient les saints inondés de la grâce céleste comme d’une pluie spirituelle ; l’aire mouillée ensuite, quand la toison était sèche, figurait l’Église répandue par toute la terre, et possédant la grâce céleste non plus enveloppée, comme dans la toison, mais à découvert, tandis que le peuple ancien privé de la rosée de cette même grâce était, pour ainsi dire, desséché. Ce n’est point sans raison néanmoins que l’Épître aux Hébreux met Gédéon au nombre des hommes fidèles et opérant la justice : sa vie fidèle et vertueuse, et, sans doute aussi, sa sainte mort lui ont mérité cet éloge.
10. Parce qu’il est écrit : « L’Esprit du Seigneur, fut sur Jephté », faut-il attribuer à l’Esprit du Seigneur tout ce qui arriva, ensuite, le vœu de Jephté, la victoire qu’il remporta, l’exécution de son vœu, et regarder même ce sacrifice comme prescrit par Dieu à l’exemple de celui d’Abraham ? Je n’oserais le dire. Il est vrai qu’on peut signaler une différence entre sa conduite et celle de Gédéon. Quand Gédéon eut péché en faisant un éphod qui entraîna tout le peuple dans la prévarication, l’Écriture ne mentionne plus aucun succès obtenu par ses arrhes ; quand Jephté, au contraire, eut fait vœu, il remporta une insigne victoire : il avait fait vœu pour l’obtenir ; l’ayant obtenue il accomplit son vœu. Remarquons cependant que Gédéon aussi délivra son peuple par une grande victoire, accompagnée d’un affreux carnage de.l'ennemi ; non sans doute après avoir fait l’éphod, mais après avoir tenté le Seigneur, ce qui est assurément un péché. – Nous lisons, en effet : « Et Gédéon dit au Seigneur : Que votre indignation ne s’allume pas contre moi, je parlerai encore une fois, et une fois encore je ferai une épreuve sur la toison, etc. » Il craignait la colère de Dieu, parce qu’il savait qu’en faisant une épreuve, il péchait, Dieu ayant défendu cela très-clairement dans la Loi. Cette faute cependant fut suivie d’un prodige éclatant, et significatif d’une grande victoire et de la délivrance du peuple. C’est que Dieu avait résolu de venir en aide à son peuple affligé, faisant également servir a ses desseins, soit pour figurer l’avenir, soit pour accomplir sa parole, la fidélité et la religion, les fautes et les défaillances du chef qu’il avait choisi pour l’exécution de l’entreprise.
11. Ce n’est pas seulement, en effet, par ceux qui sont comptés, malgré leurs péchés, au nombre des justes, que Dieu agit en faveur de son peuple. Il employa de la sorte Saül, Saül même, entièrement rejeté. L’Esprit de Dieu tomba sur Saül, et celui-ci prophétisa ; non quand il agissait suivant la justice, mais lorsqu’il.persécutaitDavid, un innocent, un saint[5]. L’Esprit du Seigneur agit pour l’exécution des desseins qu’il a conçus et arrêtés, employant les bons et les méchants, des instruments éclairés et des instruments aveugles. Caïphe, persécuteur violent du Christ, fit, ignorant ce qu’il disait, cette prophétie remarquable, qu’il fallait que le Christ mourût pour la nation[6]. Quand Gédéon voulut tenter le Seigneur, et ne crut pas, malgré la parole de Dieu, qu’il délivrerait son peuple, n’était-ce point l’Esprit du Seigneur qui, dans le dessein d’annoncer l’avenir, inspira, à ce juge d’Israël l’idée de la toison d’abord mouillée, puis sèche, et de l’aire, d’abord sèche, puis arrosée ? Que sa foi ait éprouvé une défaillance, c’est le fait de l’infirmité de l’homme, c’est sa faute ; mais que Dieu ait fait servir cette faiblesse pour annoncer au genre humain ce qu’il fallait lui révéler, c’est l’œuvre, nous devons

  1. Jug. 6, 31
  2. Id. 8, 27
  3. Ib, 6, 39
  4. Deu. 6, 16
  5. 1Sa. 19, 20-24
  6. Jn. 11, 49-51