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il pas exclusivement les juges de la terre ; et Dieu, quand il juge, ne suivrait-il pas une autre Loi, Lui qui, dans ses desseins profonds et impénétrables, sait jusqu’où doit aller la punition des hommes en ce monde, et la terreur salutaire qu’il doit leur inspirer ? En ce qui concerne le.gouvernementdu monde, la mort est-elle, en effet, un châtiment si cruel pour des créatures qui y sont destinées ? Et cependant, pour ceux qui la craignent, elle est la sanction de la Loi ; elle apprend aux hommes qu’ils ne doivent pas se considérer comme des êtres isolés au milieu de leur peuple, mais avoir, soin les uns des autres et comme les membres d’un même corps et d’un même homme, être plein d’une sollicitude mutuelle. Il ne faut pourtant pas appliquer cette réflexion aux peines de l’autre vie, et croire qu’un homme peut être damné pour un autre : la punition infligée dans ce cas ne peut que mettre fin d’une manière différente à un bien qui aurait dû toujours finir. On voit aussi par là quelle solidarité étroite unit tout un peuple, oit chacun doit se regarder, non pas isolément, mais comme la partie d’un tout. À la suite de cette mort infligée à plusieurs, en punition du péché d’un seul, le peuple fut donc averti de rechercher la faute commise, pour ainsi dire, par le corps tout entier. Il lui fut également donné à entendre quel grand malheur ce serait pour la société, si elle se rendait coupable en masse, puisque le châtiment mérité par un seul coupable ne put mettre à l’abri tous les autres. Mais, dira-t-on, si Achar, surpris par tin autre dans la perpétration de son crime, avait été déféré au tribunal de Josué, il est hors de doute que le juge n’eût pas puni, pour lui ou avec lui, quiconque n’aurait pas été son complice. Car il ne pouvait, lui, homme autorisé à juger un autre homme, dépasser les termes de la loi donnée aux hommes, et condamner arbitrairement quelqu’un pour un autre. Mais la justice de Dieu est beaucoup plus profonde, et, même au-delà de la mort, il peut faire ce qui est impossible à l’homme, c’est-à-dire, délivrer ou perdre à jamais. Donc, lors même qu’il châtie quelqu’un à cause des péchés des autres, Dieu connaît, dans le secret de sa providence, en quelle juste mesure et à qui il envoie les afflictions visibles ou la mort, parce que ces peines peuvent être ou utiles ou nuisibles aux hommes. Mais les châtiments invisibles, qui ne peuvent être que nuisibles et jamais profitables, personne n’est condamné par Dieu à les subir pour les péchés des autres, de même que nul ne doit être condamné par son semblable à souffrir des peines visibles, si ce n’est en punition de ses propres fautes. Car Dieu veut que les juges de la terre suivent, dans les châtiments qu’ils ont le droit d’infliger, la loi qu’il suit lui-même, quand il exerce son sublime et incommunicable pouvoir de juger.
IX. (Ib. 7, 15,25.)1. Sur la punition d’Achar. – Le Seigneur avait ordonné qu’on livrât aux flammes celui qui serait trouvé coupable d’avoir dérobé l’anathème ; pourquoi, demande-t-on avec raison, Josué le fit-il donc lapider par le peuple ? Ne fallait-il pas s’en tenir, pour déterminer le genre de mort, à la manière dont Josué, plus rapproché du Seigneur, entendit l’ordre divin ? Nul, en effet, n’était plus capable que lui d’interpréter les ordres d’en haut. Et au lieu de croire Josué capable d’avoir contrevenu aux ordres du Seigneur, ne vaut-il pas mieux examiner pourquoi Dieu donne le nom de feu à la lapidation ? Personne n’eut plus de sagesse que Josué pour comprendre les paroles divines, ni plus d’obéissance pour les mettre à exécution. Aussi, l’Écriture atteste-t-elle dans le livre du Deutéronome, qu’un châtiment peut très-bien se comparer au feu ; voici en effet ce que dit Moïse aux enfants d’Israël : « Il vous a tirés de l’Egypte comme d’une fournaise où l’on fond le fer[1] » image sous laquelle il a voulu évidemment dépeindre une dure tribulation.
2. Pourquoi Achar ne fut point livré aux flammes, mais lapidé. – Il se présente à mon esprit deux raisons qui expliquent, non pas toutes deux, mais l’une ou l’autre, pourquoi Achar n’a pas été jeté avec les siens dans un feu sensible. Ou bien le Seigneur n’a pas jugé sa faute tellement grave qu’elle méritât d’être expiée par un supplice éternel; alors son châtiment peut très-bien s’appeler la peine du feu, en raison de l’expiation et de la purification qui en aurait été la suite. Si le coupable avait été livré aux flammes d’un feu visible, personne n’aurait la pensée de chercher cette interprétation ; on s’en tiendrait à ce qu’on verrait clairement exprimé, et l’on n’irait pas plus loin ; mais après avoir comparé la sentence de Dieu avec la conduite de Josué, incapable de l’enfreindre, nous savons qu’on peut fort bien désigner la lapidation sous le nom de peine du feu ; il faut donc reconnaître ici, une manière élégante

  1. Deu. 4, 20