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47. Voici un autre fait. Un homme dansait devant un chœur de musiciens, au milieu de nombreuses idoles, un jour de fête païenne. Il n’éprouvait pas, il contrefaisait les transports des démoniaques, afin d’amuser les spectateurs qui l’entouraient et qui comprenaient son jeu. C’était un usage reçu que tous les jeunes gens qui voudraient, une fois les sacrifices accomplis et les convulsions des possédés tournées en ridicule, donner une pareille représentation avant le repas, le fissent en toute liberté. Cet homme donc interrompit sa danse, et ayant fait faire silence, prédit en s’amusant et au milieu des éclats de rire de la foule que, la nuit prochaine, dans la forêt voisine, un homme serait tué par un lion et qu’au lever du soleil la foule quitterait le lieu de la solennité pour aller voir son cadavre. Cette prédiction s’accomplit : cependant tous les spectateurs avaient vu clairement qu’il n’avait parlé ainsi que pour plaisanter, sans avoir jamais eu le cerveau troublé ni l’esprit en délire : lui-même dut être fort surpris de l’évènement, d’autant plus qu’il savait bien dans quelle intention il l’avait annoncé.
48. Comment ces visions se font-elles dans l’esprit humain ? Y naissent-elles avec lui, ou bien s’y montrent-elles toutes formées, en vertu d’une communication avec les Anges qui révèlent aux hommes leurs pensées, et qui leur découvrent les images que la connaissance de l’avenir crée dans leur esprit au même titre que les Anges voient nos pensées en esprit ? En esprit, dis-je, et non avec les yeux du corps, puisqu’ils sont immatériels. Cependant il y aurait entre eux et nous une grande différence : ils verraient nos pensées, même malgré nous, tandis que nous ne connaissons leurs conceptions qu’à la condition qu’ils nous en instruisent : ils ont, j’imagine, des moyens spirituels pour cacher leurs pensées, comme nous avons la ressource de nous cacher derrière un corps pour échapper aux regards. Enfin que se passe-t-il dans notre esprit, pour que nous y voyions apparaître tantôt des images qui cachent un sens mystérieux, sans savoir si elles contiennent un sens ; tantôt des symboles ou nous soupçonnons une idée, sans pouvoir la démêler ; tantôt enfin des visions où la lumière est si vive, que l’on peut à la fois percevoir les images par l’esprit et les comprendre par la raison ? Ce sont autant de questions fort difficiles à résoudre : les eût-on résolues, on devrait encore se donner bien de la peine pour les exposer clairement.

CHAPITRE XXIII. LA FACULTÉ SPIRITUELLE OU SE FORMENT LES IMAGES, SOUS L’INFLUENCE DE CAUSES SI MULTIPLES, EST EN NOUS.


49. Il me suffira maintenant d’établir le principe incontestable qu’il y a en nous-mêmes une faculté toute spirituelle où se forment les images. Des causes multiples président à leur formation. Un corps fait impression sur nos organes ; aussitôt son image se peint dans l’esprit et se conserve par la mémoire. Nous songeons à des corps déjà connus et dont la ressemblance s’était antérieurement gravée dans l’esprit ; nous les voyons sous un aspect tout à fait spirituel. Il est des corps que nous ne connaissons pas, sans toutefois douter de leur existence ; nous en voyons l’image plus ou moins exacte au gré de notre fantaisie ; nous concevons encore, comme il nous plaît, des êtres qui n’existent pas ou dont l’existence est incertaine. Quelquefois des images se présentent à l’esprit, on ne sait d’où, en dehors de tout acte volontaire. Souvent, au moment de mettre le corps en mouvement, nous disposons la suite de nos actes et nous les réglons d’avance par un effort de l’imagination, ou bien nous concevons ces mouvements, actes et paroles, à l’instant même qu’il vont s’exécuter, afin de les produire. Comment, par exemple, prononcer la syllabe la plus courte et lui donner sa place dans un mot, si l’esprit ne la conçoit avant qu’elle se fasse entendre ? Le sommeil amène des songes qui tantôt sont insignifiants, tantôt cachent une vérité. Une perturbation dans les organes rend quelquefois les traces que suit intérieurement la sensibilité, toutes confuses : alors l’esprit mêle tellement les apparences avec les réalités, qu’il a beaucoup de peine ou même devient impuissant à les distinguer entre elles, et que les images, tantôt sont insignifiantes tantôt conformes à la vérité. Quand la maladie ou la souffrance deviennent assez violentes pour fermer les canaux intérieurs par lesquels l’âme transmettait son activité, afin de recevoir les impressions du dehors, l’esprit se sépare des sens plus profondément que dans le sommeil : alors se forment ou apparaissent des images qui ont ou n’ont pas de signification. D’autres fois, sans le concours d’aucune cause physique, un Esprit s’empare de l’âme et la transporte en présence