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l’éclat à ma puissance ; vous avez ensuite détourné votre face et j’ai été tout troublé[1]. » Dans cette confusion ils eurent recours à des feuilles de figuier, se firent des ceintures, et, pour avoir renoncé à un état glorieux, cachèrent leur honteuse nudité. Ces feuilles n’avaient sans doute à leurs yeux aucun rapport avec les organes révoltés qu’il s’agissait de voiler ; ils n’y eurent recours que sous l’impulsion secrète de la honte qui les troublait, afin de révéler ainsi à leur insu leur véritable châtiment.

CHAPITRE XXXIII. DE LA VOIX DE DIEU, QUAND IL SE PROMENAIT DANS LE JARDIN.


43. « Et ils entendirent la voix du Seigneur qui se promenait dans le jardin, sur le soir. » C’était bien l’heure en effet où il convenait de les visiter, eux qui s’étaient éloignés de la lumière de la vérité. Il est possible que Dieu leur parlait auparavant en s’adressant à leur intelligence avec, ou sans langage, comme il parle encore maintenant aux Anges, en éclairant leur esprit de sa lumière immuable et en leur faisant comprendre d’un seul coup même ce qui se développe dans la suite des temps. Dieu, dis-je, pouvait les entretenir de la même manière, sans toutefois leur communiquer la sagesse aussi pleinement qu’aux Anges. Quelque distance qu’il mit entre eux et l’homme, selon la portée de son intelligence, il ne laissait pas de les visiter et de leur parler ; et peut-être employait-il des moyens physiques, comme les images qui ravissent l’esprit en extase ; des apparitions qui frappent les yeux ou les oreilles, comme celles où Dieu se montre sous.lecouvert d’un Ange ou fait retentir sa parole dans une nuée. Quant au son qu’ils entendirent, au, moment où Dieu se promenait vers le soir, il fut formé par l’organe d’une créature : ce serait une erreur de croire que l’essence invisible et immense de la Trinité se soit montrée à eux d’une manière sensible, dans un certain lieu et à un certain moment.
44. « Et Adam et sa femme se cachèrent de la face du Seigneur au milieu des arbres du Paradis. » Quand Dieu détourne sa face de l’âme et qu’elle se trouble, elle fait naturellement des actes qui tiennent de la folie, sous l’influence de la honte et de la peur : il ne faut donc pas s’étonner que, ressentant encore cette confusion, ils aient faitàleur insu des actes propres à instruire la postérité, qui devait un jour les apprendre dans un récit composé pour elle.

CHAPITRE 34 DE L’INTERROGATOIRE QUE DIEU FIT SUBIR A ADAM


45. « Le Seigneur Dieu appela Adam et lui dit : Où es-tu ? » Le reproche et non l’ignorance éclate dans cette question. Remarquons que le commandement ayant été fait à l’homme pour qu’il le transmît à la femme, c’est l’homme qui est interrogé le premier. Le commandement se communique du Seigneur à la femme par l’entremise de l’homme ; le péché passe du diable à l’homme par l’intermédiaire de la femme. Tous ces faits sont pleins d’enseignements ; ce ne sont pas les personnages qui nous les donnent, c’est la sagesse toute-puissante de Dieu qui les fait sortir de leurs actes. Mais nous n’avons point ici à découvrir le sens tâché des évènements ; bornons-nous à en montrer la vérité.
46. « Adam répondit : J’ai entendu votre voix « dans le Paradis, et j’ai eu peur, parce que j’étais nu et je me suis caché. » Il est fort vraisemblable que Dieu se montrait habituellement à ces premiers humains sous le couvert d’une créature ayant la forme humaine et disposée à cette fin ; et comme il tenait sans cesse leur esprit tourné vers les choses surnaturelles, il n’avait jamais permis qu’ils aperçussent leur nudité, avant l’instant où le péché leur fit sentir par une juste punition un mouvement honteux dans leurs membres. Ils éprouvèrent donc l’impression d’un homme en face d’un autre homme, et cette impression, châtiment de leur faute, les portait à essayer de se cacher devant celui à qui rien ne peut être caché, et de dérober leur corps à la vue de Celui qui lit dans les cœurs. Mais faut-il s’étonner qu’ayant voulu dans leur orgueil devenir comme des dieux, ils se soient évanouis dans leurs propres pensées et aient vu leur cœur insensé se couvrir de ténèbres ? Dans leur prospérité ils se.sontdonné le nom de sages, et le Seigneur ayant détourné sa face, ils sont devenus des hommes stupides[2]. Mais le sujet de leur honte, le motif qui leur avait fait prendre des ceintures, devint plus affreux encore, quand il fallut paraître en cet accoutrement devant Celui qui s’abaissait familièrement pour venir les visiter et empruntait pour ainsi dire les yeux d’une créature

  1. Ps. 29, 8
  2. Rom. 2, 21-22