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ces paroles n’indiquent pas que Dieu créa Satan avec ses vices, en d’autres termes qu’il le fit originairement mauvais, non ; prévoyant qu’il se tournerait volontairement au mal pour nuire aux justes, il le créa afin de le faire concourir au bien des justes. C’est en ce sens qu’il fut créé « pour servir de jouet aux Anges. » Il devient en effet un objet de risée, quand ses séductions tournent au profit des saints qu’il voulait pervertir, et que la malice, où son choix l’a fixé, devient malgré lui utile aux serviteurs du Dieu qui ne l’a créé que dans ce but. Il fut encore « créé dès le principe pour servir de jouet » parce que les méchants eux-mêmes, ces instruments de Satan, ce corps dont il forme la tête, et qui, comme luis furent créés en vue de concourir au salut des justes, malgré la prescience que. Dieu avait de leur perversité, deviennent comme lui un Objet de risée, quand leur dessein de nuire aux justes rencontre comme un écueil, la défiance où les jettent leurs exemples, la pieuse soumission aux ordres de Dieu, dont ils comprennent mieux la grâce, enfin l’épreuve douloureuse qui leur apprend à supporter les méchants et à aimer leurs ennemis. « Il est le premier être créé pour servir de jouet aux Anges » en ce sens qu’il est le premier représentant du mal en date comme en puissance. Or, Dieu lui fait jouer ce rôle par l’entremise des saints Anges, conformément aux lois que suit sa providence dans le gouvernement du monde : en d’autres termes, il subordonne les mauvais anges aux bons, afin que la malice des méchants ait pour limites sa volonté et non leur énergie : j’entends par méchants, et les anges.etles hommes qui font le mal, jusqu’au moment « où la justice qui vit de la foi[1] » qui s’exerce ici-bas dans la patience, « se changera en jugement[2] » et donnera aux bons le droit de juger non seulement les douze tribus[3], mais encore les Anges eux-mêmes[4].

CHAPITRE XXIII. LE DÉMON N’EST PAS RESTÉ DANS LA VÉRITÉ.


30. Ainsi quand on dit que le démon n’est jamais resté dans la vérité, qu’il n’a jamais vécu heureusement dans la société des Anges, et que sa chute a suivi immédiatement son origine, il ne faut pas entendre par là qu’il est sorti méchant des mains de Dieu, au lieu de s’être dégradé par sa faute ; autrement on ne pourrait plus dire qu’il est tombé au commencement, car il n’est pas tombé s’il a été créé en bas. Mais à peine créé, il renonça aussitôt à la lumière de la vérité, en se ; laissant aller à l’orgueil et en se complaisant dans l’idée de sa propre puissance. Par conséquent, il n’a pu goûter les délices de la vie angélique ; je ne dis pas qu’il les ait dédaignés après y avoir été associé : il n’a : pas voulu s’y associer et c’est à ce titre qu’il les a perdues ou plutôt sacrifiées. Il a donc été incapable de prévoir sa déchéance : car la sagesse est un fruit de la piété. Ennemi de la piété dès l’origine et par suite aveuglé, il est déchu, non du rang qu’il avait reçu, mais du rang qu’il aurait pu recevoir, s’il était demeuré fidèle à Dieu. Mais il ne l’a pas voulu, et il s’est vu ainsi précipité des hauteurs qu’il aurait pu atteindre, sans toutefois échapper à la puissance à laquelle il a refusé de se soumettre : il a été condamné par un châtiment sagement mesuré à ne pouvoir plus ni jouir des clartés de la justice ni éviter ses arrêts.

CHAPITRE XXIV. PASSAGE D’ISAIE QUI S’APPLIQUE AU CORPS DONT LE DÉMON EST LA TÊTE.


31. Le prophète Isaïe a dit du démon : « Comment es-tu tombé des cieux, Lucifer, étoile du matin ? Toi qui foulais les nations, tu t’es brisé contre la terre. Tu disais en ton cœur : Je monterai aux cieux, j’élèverai mon trône au-dessus des étoiles ; je m’assiérai au haut de la montagne, par-delà les hautes montagnes qui sont du côté de l’Aquilon ; je monterai par-dessus les plus hautes nuées et je serai semblable au Très-Haut. Et toutefois te voilà plongé dans les enfers[5]. » Il y a dans cette peinture du démon, représenté sous la figure du roi de Babylone, une foule de traits qui conviennent au corps que Satan se forme dans le genre humain, principalement à ceux qui s’attachent à lui par orgueil et renoncent aux commandements de Dieu. En effet dans l’Évangile le démon est appelé un homme : « C’est l’homme ennemi qui a fait cela[6] » et réciproquement l’homme est appelé démon : « Ne vous ai-je pas choisis vous douze ? Et néanmoins un de vous est un démon ;[7]. » Le corps du Christ, ou l’Église, est souvent aussi appelé le Christ ; par exemple, l’Apôtre dit aux Galates : « Vous êtes la race

  1. Rom. 1,17
  2. Ps. 93, 15
  3. Mt. 19, 28
  4. 1 Cor. 6, 3
  5. Is. 14, 12-14
  6. Mt. 13, 28
  7. 1 Jn. 6, 71