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conséquent eut été créé : mais il a été homicide dès le commencement, en ce sens qu’il a tué le premier homme ; et s’il ne resta pas dans la vérité, ce fut dès le principe de sa création, parce qu’il y serait resté, s’il l’avait voulu.

CHAPITRE XVII. LE DÉMON A-T-IL ÉTÉ HEUREUX AVANT SON PÉCHÉ.


22. Comment croire en effet qu’il aurait vécu heureux dans la bienheureuse société des Anges, puisqu’il ne connut à l’avance ni sa faute ni son châtiment, ni sa rébellion ni son supplice parle feu éternel ? On pourrait se demander pourquoi il n’en fut pas instruit. En effet, les saints anges n’ont aucun doute sur leur existence et leur bonheur éternels : le doute serait-il compatible avec leur félicité ? Faut-il dire que Dieu n’a pas voulu lui révéler et son crime et sa punition, à l’époque où il était encore un bon ange, tandis qu’il avait découvert aux autres leur éternelle fidélité ? Alors son bonheur, loin d’être égal à celui des autres, aurait été imparfait, puisque la souveraine félicité pour les anges consiste à la posséder avec une certitude qui exclut la plus légère inquiétude. Mais quelle faute avait-il commise pour que Dieu le mît à part et lui cachât son sort ? Loin de nous l’idée que Dieu eût puni Satan avant son péché : il n’a jamais condamné l’innocence. Aurait-il appartenu à un ordre d’Anges moins élevé, auxquels Dieu n’aurait pas révélé ce qu’ils deviendraient ? Je ne vois pas, je l’avoue, ce que peut être une félicité dont on n’est pas assuré. On a dit que Satan n’appartenait pas à la hiérarchie des Anges placés au-dessus du ciel, et qu’il avait été créé parmi ceux qui occupent les régions inférieures, selon le rôle qui leur est assigné. De tels Anges, en effet,.auraient.puéprouver des émotions illégitimes, tout en ayant la liberté d’y résister, s’ils l’avaient voulu : ils auraient ressemblé au premier homme, avant que la peine de sa faute se fût glissée dans tout son corps, peine dont la grâce fait triompher les saints à force de piété, lorsqu’ils restent humblement soumis à Dieu.

CHAPITRE XVIII. DU BONHEUR DE L’HOMME AVANT LE PÉCHÉ.


23. Du reste la condition du premier homme soulève également la question de savoir si le bonheur peut se concilier avec l’incertitude où l’on serait de le voir durable ou susceptible de se changer en misère. Supposez que le premier homme connût d’avance et sa faute et la vengeance divine, comment pouvait-il être heureux ? Il aurait été malheureux dans l’Eden. N’avait-il aucun pressentiment de sa faute ? Celte ignorance devait le faire douter de son bonheur, ce qui lui enlevait tout bonheur véritable, et il se berçait d’une fausse espérance sans avoir de certitude absolue.
24. Si l’on songe toutefois que l’homme avec son corps animal, avait l’espérance de se réunir aux Anges et de voir ce corps animal changé en corps spirituel, s’il vivait soumis à Dieu ; on comprendra que son existence était relativement heureuse, quoiqu’il n’eût aucun pressentiment de sa faute. Il n’y avait sans – doute aucun pressentiment de ce genre chez ceux à qui l’Apôtre adresse ce tangage : « Vous qui êtes spirituels, recevez-le dans l’esprit de douceur, regardant à toi-même, de peur que toi aussi tu ne sois tenté[1]. » Cependant nous pouvons dire sans inconséquence ni exagération qu’ils étaient heureux par celà seul qu’ils, étaient spirituels, non par le corps mais par la justice de la foi, goûtant la joie de l’espérance et pratiquant la patience dans les adversités[2]. Quel n’était donc pas le bonheur de l’homme dans le Paradis, avant son péché, puisque sans être assuré de son sort, il avait le doux espoir de voir une transformation glorieuse couronner sa vie, sans être obligé de lutter avec patience contre l’adversité ? Sans pousser la présomption jusqu’à se croire follement assuré d’un avenir encore incertain, il pouvait espérer avec foi « et se réjouir avec crainte » comme il est écrit[3], avant d’avoir conquis le séjour, où il serait sûr de vivre à jamais ; cette joie, plus vive dans le Paradis qu’elle ne saurait l’être ici-bas pour les saints, pouvait lui procurer un bonheur réel, quoique inférieur à celui des saints Anges dans la vie éternelle au-dessus des cieux.

CHAPITRE XIX. HYPOTHÈSE SUR LA CONDITION DES ANGES.


25. Que certains Anges auraient pu être naturellement heureux, sans connaître leur faute et leur punition futures, ou du moins leur salut éternel, et sans avoir d’ailleurs l’espérance de voir enfin leur condition s’améliorer pour toujours,

  1. Gal. 6, 1
  2. Rom. 12, 12
  3. Ps. 2, 11