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la probité du narrateur, et des promesses de l’historien [1].
3. Ainsi « tous deux étaient nus. » C’est un fait historique : le premier couple humain vivait absolument nu dans le paradis. Ils n’en rougissaient pas ; eh ! Quelle honte pouvaient-ils éprouver, quand ils n’avaient point encore senti dans leurs membres la loi qui soulève la chair contre la loi de l’esprit[2]? C’est là le châtiment du péché, et ils n’en subirent les effets qu’après avoir été prévaricateurs, lorsque leur désobéissance eut enfreint le commandement, et que la justice eut puni leur crime. Auparavant ils étaient nus, et à l’abri de toute confusion ; il ne se passait dans leur corps aucun mouvement qui exigeât les précautions de la pudeur : ils n’avaient rien à voiler, n’ayant rien à réprimer. Nous avons vu plus haut [3] comment ils auraient pu se créer une postérité ; c’eût été d’une manière différente de celle qui fut la conséquence de leur faute, quand la vengeance divine se réalisa ; par un juste effet de leur désobéissance, ils sentirent en effet avant de mourir, la mort se glisser dans leurs membres et y répandre le désordre et la révolte. Mais ils ignoraient cette lutte, au moment qu’ils étaient nus et ne rougissaient pas.

CHAPITRE II. DE LA FINESSE DU SERPENT : D’OÙ VENAIT-ELLE ?

4. Or, « le serpent était le plus prudent » sans contredit « de tous les animaux qui étaient sur la terre et que le Seigneur Dieu avait faits. » Le mot prudence, ou sagesse, selon la version latine de quelques manuscrits, s’emploie ici par extension : il ne saurait se prendre en propre et en banne part, comme il arrive lorsqu’on l’applique à Dieu, aux anges, à l’âme raisonnable : autant vaudrait alors appeler sages les abeilles où même les fourmis, dont les travaux offrent un semblant de sagesse. Toutefois, à considérer dans le serpent, non l’animal sans raison, mais l’esprit de Satan qui s’y était intro, luit, on pourra t’appeler le plus sage des animaux. Si bas en effet que soient tombés les anges rebelles, précipités des hauteurs célestes par leur orgueil, ils ne gardent pas moins par le privilège de la raison la supériorité sur tous les animaux. Qu’y aurait-il alors d’étonnant si le démon, en communiquant son inspiration au serpent et en l’animant de son génie, comme il fait aux devins qui lui sont consacrés, eût rendu cet animal le plus sage des êtres qui ont ici-bas la vie sans la raison ! Toutefois le mot sagesse ne peut s’appliquer à un méchant que par abus ; c’est comme si l’on disait de l’homme bon qu’il est rusé. Or, dans notre langue, le mot sagesse renferme toujours un éloge, celui de ruse implique la perversité du cœur. De là vient que dans plusieurs éditions latines, où l’on a consulté les convenances de la langue, on s’est attaché au sens plutôt qu’à l’expression, et on a mieux aimé appeler le serpent le plus rusé des animaux. Quant à la signification précise du mot hébreu, ceux qui connaissent parfaitement cette langue examineront s’il peut désigner rigoureusement et sans impropriété la sagesse dans le mal. L’Écriture nous offre ce sens dans un autre passage [4], et le Seigneur dit que les enfants du siècle sont plus sales que les enfants de lumière dans la conduite de leurs affaires, quoiqu’ils emploient la fraude et non la justice[5].

CHAPITRE III. IL N’A ÉTÉ PERMIS AU DÉMON DE TENTER L’HOMME QUE SOUS LA. FIGURE DU SERPENT.


5. N’allons pas croire du reste que le démon ait fait choix du serpent pour tenter l’homme et l’engager au péché ; sa volonté perverse et jalouse lui inspirait le désir de tromper, mais il ne put, exécuter ses desseins que par l’entremise de l’animal dont Dieu lui avait permis de prendre la figure. L’intention coupable dépend de la volonté chez les êtres ; quant au pouvoir de la réaliser, il vient de Dieu, qui ne l’accorde que par un arrêt mystérieux de sa justice profonde, tout en restant lui-même inaccessible à l’iniquité[6].

CHAPITRE IV. POURQUOI DIEU A-T-IL PERMIS QUE L’HOMME FUT TENTÉ.


6. Si on me demande maintenant pourquoi Dieu a permis que l’homme fût tenté, quand il savait d’avance qu’il écouterait le tentateur ; j’avoue que je suis incapable de pénétrer la profondeur de ce dessein : c’est trop au-dessus de mes forces : La découverte de cette cause mystérieuse est peut-être réservée à des esprits plus saints et plus puissants, encore qu’ils la devront à la grâce plutôt qu’à leurs mérites : il me semble toutefois,

  1. Ci-dessus, liv. 8, ch. 1-7
  2. Rom. 7, 23
  3. Ci-dessus, liv. 9, ch.3-11
  4. Jer. 4,22
  5. Lc. 16, 8
  6. Rom. 3, 5