Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/288

Cette page n’a pas encore été corrigée

vue sous une forme diaphane et brillante, à moins de la voir comme tout le reste, par une illusion trompeuse ? Cette illusion est possible sans doute ; mais à Dieu ne plaise que dans la veille on la croie une réalité ! autrement, quand on la verrait sous mie forme différente et moins éloignée des idées communes, il faudrait admettre ou qu’elle s’est changée, ou que, loin de voir sa substance véritable, on ne voit plus que l’image immatérielle d’un corps, analogue aux fantômes de l’imagination. Est-il un Éthiopien qui dans ses rêves ne se voie presque toujours avec un teint noir, et qui ne s’étonne, à son réveil, s’il s’est vu avec un autre teint ? Or, je crois fort qu’il ne se serait jamais vu sous une couleur diaphane, s’il n’en avait jamais entendu parler ou si quelque livre ne l’en avait instruit.
43. Ajouterai-je que ces hommes, égarés par leur imagination, veulent nous imposer de par l’Écriture l’opinion que Dieu lui-même est matériel, tel qu’il a été révélé en figure aux esprits des saints ou tel qu’on le dépeint dans un langage allégorique ? Car c’est là que vient aboutir leur système. Leur erreur consiste à traduire par des images leur fausse opinion, et ils ne comprennent pas que les saints ont considéré leurs visions, comme ils les considéreraient aujourd’hui, s’ils lisaient dans l’Écriture, ou s’ils entendaient dire qu’elles étaient un symbole, comme les sept épis et les sept vaches désignaient sept années[1] ; comme la nappe suspendue par les quatre coins, où il y avait des animaux de toute espèce, qui représentaient la terre avec les divers peuples qui l’habitent[2]. À plus forte raison faut-il s’expliquer ainsi les idées toutes spirituelles qui sont représentées par des images, au lieu d’y voir des êtres réels.

CHAPITRE XXVI. DE L’ACCROISSEMENT DE L’ÂME D’APRÈS TERTULLIEN.


44. Toutefois Tertullien n’admet pas que l’âme croisse comme le corps : « Je craindrais, dit-il, qu’on ne la crût susceptible de décroître, et par conséquent de s’anéantir. » Mais comme il y voit une substance étendue par tout le corps, il ne découvre pas à quelle conséquence aboutissent, des accroissements qui, selon lui, développent un faible germe et le proportionnent au volume même du corps. Voici ses paroles : « La force qui constitue l’âme et où s’amassent, comme dans un trésor, les économies de la nature, s’étend insensiblement avec le corps, sans que le volume de substance, qui est le principe de son accroissement, s’altère et diminue. » Ces expressions resteraient peut-être obscures, sans une comparaison qui y jette quelque lumière : « Supposez, dit-il, un lingot d’or ou d’argent ; les formes qu’il recevra y sont comme ramassées et seront peut-être moindres, quoique son volume contienne tout ce qu’il y a en lui d’or ou d’argent. Quand il s’allonge en minces lames, il s’augmente par l’étendue même qu’acquiert son poids invariable : il s’allonge sans être grossi par des éléments étrangers, sans s’accroître, et pourtant c’est s’accroître que de s’étendre ainsi. Le volume en effet peut s’accroître, le poids restant le même. Alors apparaît l’éclat du métal, jusque-là caché, quoique réel, au sein du lingot ; alors se montrent toutes les formes que sa ductilité le rend susceptible de prendre sous la main qui le façonne et qui n’ajoute à son poids qu’une empreinte. Il en est de même de l’âme ; ses accroissements sont une augmentation de volume et non de substance. »
45. Comment concevoir tant d’éloquence unie à de pareilles chimères ? Exemple singulier, qui provoque plutôt l’effroi que le rire. Tertullien en serait-il venu là, s’il avait pu concevoir l’existence indépendamment du corps ? Y a-t-il rien de plus illogique que de s’imaginer une masse de métal susceptible de s’étendre sous le laminoir sans diminuer à d’autres égards, ou de s’accroître en longueur sans rien perdre de son épaisseur ? Est-il possible qu’au corps, qui conserve la même nature, s’accroisse dans toutes les dimensions sans devenir plus léger ? Comment donc l’âme pourrait-elle tirer d’un germe presque imperceptible un accroissement proportionné à la grandeur du corps qu’elle anime, si elle n’est qu’un corps dont la substance ne reçoit rien du dehors pour s’accroître ? Comment, dis-je, pourrait-elle remplir la chair qu’elle vivifie, sans s’exténuer à proportion que le corps grandit ? Il a craint que l’âme ne s’anéantit, si elle ne diminuait en s’accroissant, et il n’a pas craint qu’elle s’anéantît en s’exténuant à mesure qu’elle s’accroîtrait. Mais à quoi bon prolonger une discussion, qui devrait être déjà terminée, puisque l’on sait ma pensée, les points sur lesquels je suis fixé, mes doutes et leur raison ? Terminons donc ici ce livre et passons au suivant.

  1. Gen. 41, 26
  2. Act. 10, 11