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vie pieuse, sans connaître notre origine ; ou l’âme intelligente est portée avec ardeur à sonder un problème qui la touche : alors, mettons de côté toute obstination dans le débat ; faisons nos recherches avec conscience, demandons avec humilité, frappons avec persévérance. Si cette connaissance nous est utile, Celui qui sait mieux que nous ce qu’il nous faut nous l’accordera, lui qui donne ce qui leur est bon à ses enfants[1]. Toutefois l’usage où l’Église, notre mère, est de baptiser les enfants, doit être pris en sérieuse considération : il ne faut ni le regarder comme inutile, ni croire qu’il n’est pas une tradition des Apôtres. Cet âge tendre offre un argument d’autant plus sérieux, que le premier il a eu le bonheur de verser son sang pour le Christ.

CHAPITRE XXIV. CONSÉQUENCE QUE DOIVENT ÉVITER LES PARTISANS DE LA PROPAGATION DES ÂMES.


40. J’avertis de tout mon pouvoir les partisans de ta propagation des âmes et je les prie de bien s’examiner eux-mêmes, afin qu’ils se convainquent que leur âme n’est point un corps. Il n’est effectivement aucune substance qui, par une étude attentive, révèle mieux à l’esprit le Dieu souverain et immuable, que celle qu’il a faite à son image : d’autre part, on est bien près de croire que Dieu est un corps, on y arrive peut-être logiquement, lorsqu’on admet que l’âme est corporelle. Accoutumé à la vie et aux opérations des sens, on ne veut pas croire que l’âme soit d’une autre nature que le corps, dans la crainte qu’elle ne soit plus rien : à plus forte raison, plus on craint que Dieu n’existe pas, plus on craint de lui retisser un corps. L’imagination entraîne ces sensualistes avec tant de force vers les représentations réelles ou chimériques que l’esprit se forme à propos des corps, que sans ces représentations ils redoutent de se perdre dans – le vide ; de là vient qu’ils se figurent nécessairement la justice et la sagesse sous des formes et des couleurs, car ils ne peuvent les concevoir d’une manière purement spirituelle ; et pourtant, quand la sagesse et la justice excitent leur admiration ou leur inspirent quelques actes, ils ne disent point le coloris, les traits, la taille, les formes qui ont frappé leurs regards. C’est un sujet que nous avons déjà traité ailleurs et que nous traiterons encore, s’il plaît à Dieu. Ainsi donc, que l’on regarde comme une certitude l’hypothèse de la transmission des âmes ou qu’on reste dans le doute, on ne doit jamais aller jusqu’à croire ou dire que l’âme est matérielle, surtout pour éviter de se figurer Dieu comme un corps ; puisque, malgré sa perfection, malgré le privilège de surpasser tous les êtres par son essence, il n’en serait pas moins un corps.

CHAPITRE XXV. ERREUR DE TERTULLIEN SUR LA NATURE DE L’ÂME.


41. Aussi quand Tertullien a cru l’âme corporelle, c’est qu’il n’a pu la concevoir comme une substance simple, et qu’il aurait eu peur de l’annihiler en n’en faisant pas un corps ; et conséquemment il a été incapable de se former sur Dieu une autre opinion. Mais comme son génie est perçant, il découvre parfois la vérité en dépit de son système. Quoi de plus vrai que ce principe qu’il formule dans un de ses ouvrages : « Tout ce qui est corporel est passible [2] ? » Par conséquent, il aurait dû renoncer à l’opinion qui lui faisait dire un peu plus haut que Dieu est un corps : je ne saurais croire, en effet, qu’il ait perdu le sens au point d’admettre que la substance de Dieu fût passible et de faire non seulement du Christ avec sa chair, avec sa chair et son âme, mais encore du Verbe par qui tout a été fait, un être passible et susceptible de changer : pour un esprit chrétien ce serait une impiété. Ailleurs, après avoir attribué à l’âme la transparence de l’air et de la lumière, il arrive aux sens, dont il essaie de faire comme les organes de l’âme, et il dit : « Il y a l’homme intérieur et l’homme extérieur, un en deux : le premier a aussi ses yeux, ses oreilles, au moyen desquels le peuple a dû voir et entendre le Seigneur ; il possède enfin tous les organes nécessaires pour la pensée et pour les visions des songes [3]. »
42. Ainsi les yeux et les oreilles qui ont permis au peuple de voir et d’entendre le Seigneur, sont ceux qui permettent à l’âme d’avoir des songes. Et pourtant, si vous aviez vu Tertullien en songe, il vous soutiendrait que vous ne l’avez ni vu ni entretenu, à moins de vous avoir vu à son tour. Enfin supposons que l’âme se voie elle-même en songe, quand les membres du corps sont immobiles et qu’elle prend l’essor à la suite des fantômes qu’elle aperçoit : l’a-t-on jamais

  1. Mt. 7, 11
  2. De l’âme, ch. VIII
  3. Id.ch. IX