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autrui. Si en parlant des yeux de la foi, seuls capables d’atteindre les vérités inaccessibles aux sens, on a pu dire : « Toute chair verra le Sauveur envoyé de Dieu[1] » quoiqu’elle ne puisse le voir que par l’âme qui la fait vivre, et quoique pour voir pieusement, avec les yeux du corps, le Christ sous la forme dont il s’est revêtu pour nous, il n’y ait aucun mouvement de concupiscence, mais seulement un acte de la chair ; et qu’ainsi il ne faille pas voir une pure opération de l’esprit dans ces mots : « Toute chair verra le Sauveur envoyé de Dieu[2]; » combien est-il plus juste encore de dire que « la chair « convoite » lorsque l’âme abandonne le corps à la vie des sens ou même accède aux désirs de la chair ; lorsqu’il n’est point au – pouvoir de l’âme d’être au-dessus de pareilles convoitises, aussi longtemps que domine dans les membres le péché, je veux dire, ce fougueux penchant à la volupté qui naît dans ce corps de mort en punition du péché an sein duquel nous naissons tous et qui fait de nous, avant le don de la grâce, des enfants de colère[3], ce péché contre lequel luttent ceux qui sont établis en grâce ? Ils ne réussissent pas sans doute à l’étouffer dans ce corps mortel ou plutôt mort, mais ils l’empêchent d’y régner. Or, pour que le péché ne règne pas, il faut qu’on n’obéisse point aux désirs qu’il fait naître, je veux dire à la concupiscence que la chair rebelle irrite contre l’esprit. Delà vient que l’Apôtre ne dit pas : que le péché ne soit plus dans votre chair mortelle, il savait trop bien que le péché a pour nous un attrait qui est la suite de la corruption originelle ; mais : « Que le péché ne domine plus dans votre chair mortelle, pour vous faire obéir à ses désirs déréglés et n’abandonnez par vos membres au péché comme des instruments d’iniquité[4] ».

CHAPITRE XIII. DE L’AVANTAGE QU’ON TROUVE À COMPRENDRE AINSI LA CONCUPISCENCE. – DU PÉCHÉ CHEZ LES ENFANTS.


22. Ce point de vue offre plusieurs avantages ; d’abord il n’y a aucune inconséquence à dire que la chair sans l’âme serait étrangère à la concupiscence ; puis on ne tombe pas dans l’erreur des Manichéens, qui, voyant avec raison que la chair sans l’âme serait étrangère à la concupiscence, ont imaginé une seconde âme, en lutte avec Dieu ; laquelle gouverne la chair, et la fait se révolter contre l’esprit. Enfin nous ne sommes point condamnés à dire que certaines âmes pourraient se passer de la grâce de Jésus-Christ, pour répondre à. cette objection : Quel est donc ce crime qui rend si affreux pour l’âme d’un jeune enfant le malheur de sortir du corps avant d’avoir reçu le baptême, si elle n’est coupable d’aucune faute personnelle, ou si elle ne vient pas de cette âme qui la première a péché en Adam ?
23. Il n’est point ici question des enfants déjà grands auxquels on ne peut, selon quelques personnes, reprocher aucune faute, avant l’âge de quatorze ans, époque où ils entrent dans l’adolescence. Nous serions de cet avis, si l’enfance n’avait d’autre vice que l’appétit grossier du sexe ; mais qui aurait le front de soutenir que le vol, le mensonge, le parjure ne sont point des péchés, à moins d’être intéressé à voir de pareils méfaits se commettre impunément ? Or, les fautes de ce genre se multiplient chez l’enfant et si elles paraissent moins graves que dans un âge plus avancé, c’est qu’on espère que la raison s’étant fortifiée avec les années, les règles de la saine morale seront mieux comprises et plus docilement pratiquées. Mais je ne veux point ici parler de ces enfants, encore qu’on les voie protester de toutes leurs forces, en actes et en parole, contre la vérité ou la justice, quand elles contrarient cet instinct de volupté qui, malgré leur âge, trouble leur âme et leur corps ; et quel est le motif qui leur fera paraître légitime l’attrait pour le plaisir, la répugnance pour la douleur, sinon un amour secret du mensonge et de l’injustice ? J’ai en vue les enfants plus petits, non parce qu’ils naissent trop souvent de l’adultère. La corruption des mœurs n’est point un motif pour reprocher à la nature ses bienfaits ; à ce titre, en effet, il faudrait que le blé semé par un voleur ne germât pas dans la terre ; il faudrait encore que l’iniquité des parents retombât sur eux, malgré leur retour au Seigneur ; combien moins en seront châtiés les enfants, s’ils mènent une vie vertueuse !

CHAPITRE XIV. L’EXISTENCE DU PÉCHÉ CHEZ LES ENFANTS ET LEUR BAPTÊME PROUVENT-ILS LA PROPAGATION DES ÂMES ?


Le problème se pose avec toute sa force, quand on se demande comment l’âme, à cet âge où

  1. Lc. 3, 6
  2. Ib.
  3. Eph. 2, 3
  4. Rom. 6, 12, 13