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à notre salut. S’il avait besoin de nous, il ne serait plus véritablement Seigneur : il trouverait en nous des auxiliaires dans l’indigence dont il serait l’esclave. C’est donc avec justice que le Psalmiste s’écrie : « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu : car vous n’avez pas besoin des biens que je possède[1]. » Toutefois en disant que nous le servons dans notre propre intérêt et pour notre salut, nous n’avons pas prétendu qu’il faille attendre de lui une autre récompense que lui-même : il constitue tout seul notre intérêt le plus élevé et notre salut. C’est ce sentiment qui nous fait l’aimer d’un amour désintéressé : « m’attacher au Seigneur, voilà mon bien[2]. »

CHAPITRE XII. DE L’IMPUISSANCE DE L’HOMME A FAIRE LE BIEN SANS LE SECOURS DE DIEU.


25. L’homme en effet n’est point un être qui, une fois créé, puisse accomplir le bien par lui-même sans l’intervention de son Créateur. La bonté de ses actes consiste à s’attacher au Créateur, et par lui à devenir juste, pieux, sage et heureux. On ne doit pas s’arrêter dans ce travail, ni quitter Dieu, comme on prend congé d’un médecin après avoir été guéri ; le médecin n’opère qu’au-dehors et seconde la nature dont Dieu fait mouvoir intérieurement les ressorts, parce que Dieu, comme nous l’avons vu, conserve les êtres par la double impulsion que sa providence communique à la nature et aux volontés. L’homme doit donc s’attacher à son Seigneur comme à sa fin, non pour le quitter lorsqu’il sera devenu juste par ses bienfaits, mais pour être sans cesse formé à la justice. Par cela seul qu’il ne s’éloigne pas de Dieu, il trouve dans cette communication justice, lumières, bonheur ; il se perfectionne, il est en sûreté pendant qu’il obéit et que Dieu commande.
26. Nous l’avons dit, quand l’homme qui cultive la terre en vue de l’embellir et de la féconder, la laisse à elle-même après les travaux du labour, des semailles, de l’irrigation, son œuvre n’en subsiste pas moins ; mais il n’en est pas de même de Dieu : l’œuvre de justification qu’il accomplit dans l’homme ne subsiste plus dès que celui-ci l’abandonne. De même que l’air reçoit de la lumière un éclat qui n’a rien de permanent, puisqu’il ne brille plus dans l’absence de la lumière ; de même la présence de Dieu éclaire l’homme et son absence le laisse plongé dans les ténèbres : cet éloignement ne se mesure point par la distance ; c’est la volonté détachée de son principe.
27. Que l’Être immuablement bon perfectionne donc l’homme et le préserve. Notre devoir à nous est d’être façonnés sans cesse et perfectionnés par lui en nous attachant à lui, et en lui restant unis comme à notre fin : « Mon bonheur est de m’attacher au Seigneur ; c’est en vous, Seigneur que je garderai ma force[3]. » Nous sommes son ouvrage, en tant qu’il nous a donné l’être et que de plus il nous donne la vertu. C’est la vérité que proclamait l’Apôtre, quand il faisait sentir aux fidèles arrachés à l’impiété la grâce qui nous sauve : « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi, dit-il ; cela ne vient pas de vous ; c’est un pur don de Dieu, et non le fruit de vos œuvres, de sorte que l’homme ne peut s’en rapporter la gloire. Nous sommes son œuvre ; c’est lui qui nous a créés en Jésus-Christ pour opérer les bonnes œuvres dans lesquelles il avait réglé d’avance que nous devions marcher[4]. » Ailleurs après avoir recommandé d’opérer son salut « avec crainte et tremblement » il ajoute immédiatement, afin qu’on ne s’attribue pas la gloire de s’être rendu soi-même juste et bon : « C’est Dieu qui opère en vous[5]. » Ainsi donc « Dieu plaça l’homme dans le Paradis pour opérer en lui et pour le garder. »

CHAPITRE XIII. POURQUOI L’ARBRE DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL A-T-IL ÉTÉ INTERDIT A L’HOMME ?


28. « Et le Seigneur Dieu fit un commandement à Adam, lui disant : Tu mangeras librement de tout arbre du jardin. Quant à l’arbre de la science du bien et du mal, vous n’en mangerez pas : car du jour que vous en mangerez vous mourrez de mort[6]. » Si l’arbre que Dieu interdit à l’homme avait été nuisible, il aurait naturellement contenu un poison mortel. Mais tous tes arbres que Dieu avait plantés dans le Paradis étaient excellents[7], comme toutes ses œuvres ; d’ailleurs le Paradis ne renfermait aucun être naturellement mauvais, le mal n’existant nulle part en soi, comme nous le démontrerons rigoureusement, s’il plaît à Dieu, quand nous serons arrivés au serpent tentateur. L’homme reçoit

  1. Ps. 15, 2
  2. Id. 72, 28
  3. Ps. 58, 10
  4. Eph. 2, 8-10
  5. Phil. 2, 12-13
  6. Gen. 2, 16-17
  7. Id. 1, 12