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terrestre ; mais comme nous n’avons aucun motif pour ne pas prendre à la lettre les faits à leur origine, pourquoi ne pas s’attacher avec simplicité à l’autorité de l’Écriture, quand elle raconte des évènements d’un caractère éminemment historique, en passant de la connaissance de la réalité au sens figuré qu’elle peut renfermer ?

14. Faut-il nous arrêter, à l’objection que, sur ces quatre fleuves, les uns ont une source connue, les autres une source cachée, et que par conséquent il est littéralement impossible qu’ils sortent de l’unique fleuve du Paradis ? Loin de là la situation du Paradis terrestre étant une énigme pour l’esprit humain, il faut croire que le fleuve qui arrosait le Paradis se divisait en quatre bras, selon le témoignage incontestable de l’Écriture ; quant aux fleuves dont les sources, dit-on, sont connues, ils ont disparu quelque part sous terre, et, après avoir parcouru un long circuit, ils ont reparu en d’autres pays où ils passent pour prendre leur source. Qu’y a-t-il de plus fréquent que ce phénomène ? Mais on ne le connaît que pour les cours d’eaux qui ne restent pas longtemps cachés sous la terre. Ainsi un fleuve sortait d’Eden, c’est-à-dire, d’un lieu de délices ; ce fleuve arrosait le Paradis, en d’autres termes, les arbres magnifiques et chargés de fruits qui ombrageaient tout l’espace compris dans ce parc.

CHAPITRE VIII.

L’HOMME PLACÉ DANS LE PARADIS TERRESTRE POUR S’Y LIVRER A L’AGRICULTURE.

15. « Dieu prit donc l’homme et le plaça dans le jardin d’Eden, pour le cultiver et pour le garder. Puis le Seigneur Dieu commanda à l’homme, disant : Tu mangeras de tout arbre qui est dans le jardin ; quant à l’arbre de la science du bien et du mal vous n’en mangerez point : car au jour que vous en mangerez, vous mourrez de mort[1]. » L’Écriture après avoir dit brièvement, un peu plus haut, que Dieu avait planté un jardin et y avait placé l’homme sa créature, était revenue sur ces expressions pour décrire la formation de ce parc ; elle y revient encore pour raconter comment l’homme fut introduit. Il y fut placé, dit-elle, pour le cultiver et pour le garder. Examinons le sens attaché à ces derniers mots. De quel travail, de quelle surveillance peut-il être question ? Dieu a-t-il voulu que le premier homme se livrât à l’agriculture ? Ne serait-il pas invraisemblable qu’il l’eût condamné au travail avant sa faute ? On pourrait le penser, si l’expérience ne démontrait pas que l’homme parfois prend un plaisir si vif à travailler la terre, que c’est un supplice pour lui d’être arraché à cette occupation. Or, l’attrait attaché à l’agriculture était bien plus vif encore à une époque où la terre et le ciel avaient une perpétuelle bénignité. Ce n’était point un travail écrasant, mais comme un épanouissement de l’activité, charmée de voir les créations divines prendre avec son concours un aspect plus vivant et une fécondité nouvelle : c’était un sujet perpétuel de louer le Créateur lui-même, pour ce don de l’activité qu’il avait fait à l’âme unie à un corps, pour cette faculté qui s’exerçait dans la mesure du plaisir et non à contre-cœur pour, satisfaire aux besoins inférieurs du corps.

16. Y a-t-il un spectacle plus sublime et plus ravissant pour l’homme, un entretien plus intime pour ainsi dire de sa raison avec la nature, que d’examiner ses semis, ses pépinières, ses boutures, ses greffes, et de se demander quelle est la vertu secrète des germes et des racines ; d’où vient leur développement ou leur stérilité ; quelle est l’action de la force invisible qui les fait croître au dedans, l’influence de la culture au-dehors ? Ces considérations n’élèvent-elles pas jusqu’à montrer que celui qui plante et qui arrose n’est rien, mais Dieu seul qui donne l’accroissement[2] ? Le travail extérieur ne vient-il pas d’ailleurs de l’être même que Dieu a créé et qu’il gouverne selon les desseins secrets de sa providence ?

CHAPITRE IX.

ENSEIGNEMENT QUE DONNE LA CULTURE DE LA TERRE.

17. De là l’esprit porte ses regards sur le monde lui-même comme sur un arbre immense, et il y retrouve la double action de la Providence, l’une naturelle et l’autre volontaire. Je veux parler des mouvements mystérieux que Dieu imprime par lui-même pour donner l’accroissement à tout, même aux plantes et aux arbres, et de l’activité libre qu’il gouverne chez les anges et chez les hommes. À l’action naturelle appartiennent les lois qui régissent les corps au ciel et sur la terre : le

  1. Gen. 2, 16-17
  2. 1Co. 3, 7