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les semences elles-mêmes de toute étendue. L’homme n’était pas même un raccourci d’atomes, lorsqu’il fut fait dans la création des six jours. La semence fournit une métaphore assez heureuse pour faire comprendre cette idée, parce que les êtres qui doivent en sortir plus tard y sont virtuellement contenus ; mais avant les semences matérielles, il y a les causes, les principes invisibles : c’est le point délicat à saisir. Que faire donc ? Une seule chose : avertir de s’attacher fidèlement à l’Écriture et de croire, d’abord, que l’homme fut créé quand Dieu fit avec le jour le ciel et la terre, puisque l’Écriture dit ailleurs : « Celui qui vit à jamais a tout fait en même temps[1] » ensuite, qu’à l’époque où Dieu après avoir créé tous les êtres à la fois les produisit régulièrement dans la suite des temps, il forma l’homme du limon de la terre, et la femme d’une de ses côtes : car, on ne saurait dire ni qu’ils ont été formés ainsi le sixième jour, ni qu’ils n’aient pas été formés du tout le sixième jour, l’Écriture ne le permet pas.

CHAPITRE VII. L’ÂME A-T-ELLE ÉTÉ CRÉÉE AVANT LE CORPS CHEZ L’HOMME ? IMPOSSIBILITÉ D’UNE PAREILLE HYPOTHÈSE.


12. Mais peut-être que les âmes.seulesont été créées le sixième jour, puisque l’image de Dieu réside dans l’âme même, tandis que la formation des corps aurait été ajournée. C’est une hypothèse à laquelle l’Écriture encore ne permet pas de s’arrêter. D"abord, tous les ouvrages divins furent achevés alors : or, je ne vois pas comment on pourrait concevoir cet achèvement, si un être eût été créé sans contenir la cause des développements qu’il devait prendre plus tard. Ensuite, la distinction des sexes ne peut exister que pour les corps. Dira-t-on que l’intelligence et l’action doivent être considérées comme deux sexes dans l’âme ? Soit ; mais comment alors concevoir que ce jour-là même, Dieu leur donna pour aliments les fruits des arbres, cette nourriture n’étant appropriée qu’à un homme pourvu d’organes ? Si on y voit une allégorie, on oublie que dans ces sortes de récits la réalité des faits doit être avant tout et par toutes sortes de preuves établie comme fondement.

CHAPITRE VIII. COMMENT CONCEVOIR QUE DIEU AIT TENU UN DISCOURS A L’HOMME LE SIXIÈME JOUR ?


13. Et comment, va-t-on dire, Dieu adressait-il un discours à ceux qui ne pouvaient encore ni entendre ni concevoir, en l’absence de tout être capable d’accueillir ses paroles ? Je pourrais répondre que Dieu leur a parlé, au même titre que Jésus-Christ s’est adressé à nous longtemps avant notre naissance, et non seulement à nous, mais encore à tous ceux qui naîtront après nous. Il parlait en effet à tous les fidèles qu’il voyait dans l’avenir, lorsqu’il disait : « Voilà « que je suis avec vous jusqu’à la consommation du siècle[2]. » C’est encore ainsi qu’était connu de Dieu le prophète à qui il disait : « Avant de te former dans le sein de ta mère, je te connaissais[3]; » que Lévi, qui reçoit la dîme, l’avait en quelque sorte payée dans la personne d’Abraham, son aïeul[4]. Pourquoi donc Dieu n’aurait-il pas également vu Abraham dans Adam, et Adam, dans les êtres qu’il créa tous à la fois ? Sans doute les paroles du Seigneur prononcées par l’organe de sa créature, par la bouche de ses prophètes, exigent une voix pour se faire entendre et chaque syllabe se produit dans un intervalle de temps ; il n’en était pas de même quand Dieu disait : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, les animaux domestiques et les reptiles de la terre » ou encore : « Croissez et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la à votre empire » ou bien : « Je vous ai donné toute herbe qui porte semence, tout arbre fruitier avec sa semence : ce sera votre nourriture[5]. » La parole, antérieure à toute vibration de l’air, à toute voix échappée d’une nue ou sortie d’une bouche humaine, se prononçait dans la Sagesse souveraine par qui tout a été fait : elle ne retentissait pas aux oreilles, elle déposait dans les êtres créés les principes des êtres à venir ; elle formait avec une puissance infinie les êtres destinés à voir le jour ; quant à l’homme qui devait se former au moment marqué, elle le créait à l’origine, et pour ainsi dire l’entait sur la racine des temps, quand elle établissait, quoique antérieur à tous les siècles,

  1. Sir. 18, 1
  2. Mt. 28, 20
  3. Jer. 1, 5
  4. Heb. 7, 9-10
  5. Gen. 1, 26-89